Intégralité de la contribution intitulée "Pour une fiscalité solidaire et progressive"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Fiscalité et dépenses publiques le 5 mars 2019 à Authon-la-Plaine .

Quelles sont toutes les choses qui pourraient être faites pour améliorer l'information des citoyens sur l'utilisation des impôts ?
Améliorer la culture générale fiscale et expliquer de manière pédagogique la diversité des instruments de la fiscalité, indirecte, directe et des cotisations, expliciter leurs différentes assiettes, leur nature progressive ou proportionnelle. Donner de la lisibilité : quelles sont les politiques qui sont financées par les uns et les autres et dans quelle proportion

Que faudrait-il faire pour rendre la fiscalité plus juste et plus efficace ?
Selon moi, il faut d’abord distinguer les deux objectifs de la fiscalité pour rendre la question plus claire. Qu’elle soit plus juste ne signifie pas forcément qu’elle soit plus efficace et inversement. La justice est liée à l'équité du prélèvement, qui exige que les plus riches soient davantage imposés que les moins riches, et donc elle est liée à la progressivité des prélèvements. Un même taux de prélèvement (flat tax) pour tous est le contraire de l'équité. L’efficacité sera fonction de l’affectation des moyens collectés, de l’utilité de la dépense mais aussi de la pertinence des objectifs poursuivis , et enfin de l'efficience des moyens mis en oeuvre. Une fiscalité plus juste : Un préalable devrait être de revoir les impôts indirects, injustes. Tout le monde doit manger, se loger, se soigner, téléphoner, communiquer, se déplacer, mais aussi se cultiver et se distraire. Moins les ménages ont de moyens, plus ces dépenses, soumises à des taux divers de TVA, pèsent sur le budget et plus la proportion de l'impôt prélevé sur le budget disponible est importante. L'impôt indirect a donc un effet régressif. Pour rendre le poids des impôts indirects moins injustes, on peut penser à : - Supprimer la TVA sur les produits alimentaires de base et élargir les produits soumis aux plus bas taux de TVA (en d’autres termes baisser la TVA applicable) aux consommations de la société d’aujourd’hui, au-delà des produits alimentaires pour y inclure les produits de vie quotidienne, de bricolage, de communication et d’informatique domestique etc. - Introduire un crédit d’impôt pour compenser la taxe sur les carburants correspondant aux déplacements contraints (travail), - Prévoir une aide fiscale à l’achat de véhicules électriques mieux calibrée pour aider aussi substantiellement les classes moyennes (exemple : qu’est-ce qu’une aide de 1000 euros alors qu’on revendra une voiture diesel avec difficulté avant d’acheter une voiture électrique qui en vaut 12500 d’occasion, ou une voiture thermique plus récente à 6000 ou 8000 euros, quand on n’a pas d’économies et un crédit immobilier à 30 % de ses revenus sur le dos ?). - Introduire une forte taxe sur le kérosène avion et cargo des transports maritimes. Dans le domaine de l’imposition directe, il faut à la fois travailler au plan symbolique et au plan technique. Au plan symbolique, affirmer avec force la légitimité de l'impôt progressif qui augmente le taux marginal de prélèvement au fur et à mesure que croît le niveau de ressources du contribuable. Pour concrétiser ce tournant symbolique, plusieurs mesures techniques devraient être prises : - Créer des taux d’imposition supplémentaires au-delà de la tranche à 45 %, vu l’ouverture des rémunérations quand on considère les derniers centiles de revenus. La répartition des revenus en déciles n'est pas assez fine pour refléter l'échelle des inégalités de revenus, et ne donne pas d'image suffisamment précise de la dispersion des revenus des catégories qu'on considère comme moyennes ou moyennes supérieures. - Remettre en place l’ISF, en se rappelant que c’est un Impôt de SOLIDARITE sur la Fortune et pas un Impôt Sur la Fortune, et que c'est donc la dimension de solidarité qui le justifiait et qui est primordiale. - Abroger la flat tax à 30 % sur les revenus tirés des placements et investissements. Non seulement la flat tax réduit le produit de l’impôt de 1,5 milliard et demi, mais, selon les calculs de Gabriel Zucman, elle incite fortement tous ceux qui le peuvent (cadres dirigeants et indépendants) à transférer des revenus provenant de leur travail en dividendes alors qu’ils devraient être déclarés comme salaires. Selon Zucman, la perte en recettes de cotisations et contributions sociales pourrait être jusqu’à 10 fois supérieure à la dépense fiscale. - Augmenter les droits de succession sur les successions importantes, par exemple à partir d’un montant supérieur à 300 000 euros, rendre ces droits de succession très progressifs (il n'y a rien de comparable entre une succession à 300 000 euros d'actifs et une autre à 1 million d'euros) et y inclure le montant des assurances vie - Traquer la fraude fiscale et les transferts de revenus ou de bénéfices dans les paradis fiscaux, à l’instar de ce qui a été fait avec la Suisse, et s'engager, même unilatéralement, à taxer les GAFA et autres acteurs de l'économie numérique - Une fois rétabli le haut de la fourchette des prélèvements, revoir tout l’étalonnage des taux d’imposition en réduisant la pente d’augmentation d’imposition des revenus modestes et moyens - Modifier radicalement la CSG en la rendant progressive et non pas en taux quasi fixe par rapport aux revenus (et surtout aux salaires et pensions) sur lesquels elle est perçue ; en l’état actuel, à taux quasiment identique, c’est un impôt type flat tax, tout à fait choquant, sachant que sa collecte représente 25 % des recettes finançant la protection sociale, domaine par excellence de la solidarité. Une fiscalité plus efficace : - Pour aider à la compréhension de l'objectif des prélèvements, flécher les prélèvements sur le social et la transition écologique, pour garantir que tel ou tel prélèvement est mis en place à l'appui de tel ou tel objectif (cf. l'erreur à la fois politique et technique de la taxe sur les carburants de l'automne dernier, destinée au budget public) - Réexaminer l’ensemble des niches fiscales tant dans leur conception que dans leurs effets. La dépense fiscale correspondant aux réductions d’impôts fléchant tel ou tel objectif est-elle calibrée à la bonne hauteur et permet-elle des résultats tangibles ? Qu’on pense par exemple au Crédit impôt CICE et le million d’emplois promis et pas réalisés, ou encore au dispositif Pinel qui devait faire redémarrer le logement locatif privé qui reste atone. A propos de la suppression de l’ISF, le gouvernement a annoncé une première évaluation pour l’automne 2019. Pourquoi ne s’est-il pas déjà saisi des travaux de Thomas Piketty, Gabriel Zucman et d’autres qui ont documenté de manière solide le lien entre développement des inégalités et politiques fiscales, à la fois dans le temps et dans l’espace, par leurs travaux de comparaison internationale ?

Afin de financer les dépenses sociales, faut-il selon vous… [Autres]
Remettre au centre de l’action publique contre le chômage, la réduction du temps de travail : mieux vaut travailler moins pour être plus nombreux à travailler et donc à cotiser, voire pour travailler tous. Cela devrait passer par la redynamisation des 35 h et l’encouragement à des organisations du travail plus ouvertes au temps partiel long et choisi (semaine de 30 h, 3 jours et demi ou 4 jours par semaine ou autre répartition sur le mois, sur l’année etc.), tout en déployant l’amplitude de fonctionnement des services et entreprises sur 6 jours. On y gagnerait : - sur le terrain de l’emploi et de la réduction du chômage, - sur les recettes en cotisations sociales - sur le terrain des conditions de travail (prévention du burning-out, du stress) et donc réduction des dépenses d’arrêts de maladie et d’anti-dépresseurs - sur le terrain de la conciliation entre emploi et responsabilités familiales, sociales, vie citoyenne et associative, - et sans doute aussi en réduction des déplacements et transports, donc sur le terrain de la transition écologique etc.

S'il faut selon vous revoir les conditions d'attribution de certaines aides sociales, lesquelles doivent être concernées ?
Il n'est pas normal que le RSA ne puisse pas être demandé avant 25 ans, quand le jeune adulte n'a aucun soutien familial.

Quels sont les domaines prioritaires où notre protection sociale doit être renforcée ?
Concernant les montants des minima sociaux RSA, minimum vieillesse, AAH pour une personne seule, les montants devraient être augmentés, pour permettre à ceux qui les touchent une vie digne. Ces montants sont beaucoup trop bas pour qu'on puisse parler d'un reste à vivre, une fois que les dépenses de survie ont été effectuées. C'est une question de solidarité et de justice sociale envers les plus vulnérables, afin de leur permettre d'assurer des dépenses de logement, d'alimentation, de déplacement et de communication convenables. L'accompagnement vers l'emploi des jeunes et des adultes les plus dés-insérés ne peut réussir qu'à partir d'un socle de sécurité d'existence minimale que le RSA ne peut assurer. La dépendance constitue également un domaine prioritaire. Il faut absolument construire une cinquième branche de sécurité sociale pour répondre au 5ème risque de la dépendance, que celle-ci soit causée par le vieillissement et le très grand âge ou par le handicap, à financer par la solidarité nationale. Plutôt que de laisser se développer des assurances privées dépendance très inégales en termes de garanties et de prix, il faudrait penser à une grande assurance collective, à taux progressifs. Le Japon avec l'assurance dépendance payée par tous à partir de 40 ans est un exemple intéressant. En plus de maîtriser les garanties offertes, on fait l'économie des frais de marketing et de publicité qui représentent jusqu'à 10 % des cotisations en matière d'assurances dans le domaine de la santé. La protection sociale à destination des personnes âgées touchant des retraites modestes et moyennes doit à mon avis être considérablement renforcée et tout son financement revu, aussi bien en ce qui concerne le maintien à domicile que la vie en institution (Ehpad ou autre structure de vie avec aide). Dans les deux situations, les besoins sont mal couverts et la décentralisation des responsabilités conduit à des inégalités choquantes d’un département à l’autre. A domicile les modes de calcul des allocations APA, le girage, le manque de places en services infirmiers à domicile conduisent à des montants d’heures d’aides ou des reste à charge différents d’un département à un autre. Le nombre d’aide alloués selon le GIR est très insuffisant au-delà du GIR 3. Selon qu’il sera possible ou non de recourir à un service de soins infirmiers à domicile, les soins au corps seront imputés sur les heures d’aide de la personne âgée ou pris en charge par l’assurance maladie. En établissement, les politiques d’habilitation des établissements à l’aide sociale à l’hébergement sont fortement différentes d’un département à l’autre, avec des conséquences sur le prix de journée, sur les conditions de fonctionnement des établissements, et des inégalités dans les sommes réclamées aux proches obligés alimentaires d’un département à l’autre. Dans les Ehpad qui accueillent des personnes de plus en plus âgées et de plus en plus dépendantes, le rationnement des moyens financiers met les établissements sous tension en ne leur permettant pas les effectifs de soin et d’aide nécessaires à un accompagnement individualisé de qualité des résidents de plus en plus âgés et de plus en plus diminués. Les conditions de travail en sont très dégradées pour les professionnels de ces établissements et leurs salaires scandaleusement trop bas. Les partenaires sociaux manquent d'autonomie pour négocier leurs accords collectifs par rapport aux autorités de tutelle. Ce contexte rend les recrutements difficiles, expose les établissements à du turn-over défavorable au développement de politiques de qualité de l'accompagnement des personnes accueillies. Ces facteurs concourent de manière structurelle aux situations de maltraitance mises en lumière régulièrement dans les médias. Du côté des résidents et de leurs proches, Le reste à charge est scandaleusement élevé, au regard des pensions moyennes perçues par les personnes accueillies en maison de retraite (se rappeler que la la pension moyenne totale de droit direct + droits dérivés des femmes fin 2012 est de 1271 euros et celle des hommes de 1811 euros, source : DREES 2018 ; les pensions ont si peu évolué qu'on peut considérer ces chiffres comme représentatifs de la situation actuelle). Les conditions d’attribution de l’ASH, inégales entre les départements, jouent comme un repoussoir, notamment pour les personnes modestes ayant de la famille, faisant en sorte que 50 % des personnes qui pourraient y prétendre en fonction de leurs ressources ne la sollicitent pas, restant à domicile au-delà du raisonnable ou laissant leurs proches se débattre avec les sommes qui leur sont demandées au titre de l’obligation alimentaire. Le recours sur héritage dans le cadre de l'obligation alimentaire, très souvent perçu comme injuste et confiscatoire par les résidents concernés et par leurs proches, pourrait être abandonné dans le cadre d'une politique générale plus juste de droits de succession (voir plus haut). Concernant les handicapés, deux grandes carences méritent d’être comblées : - le manque d’établissements pour jeunes lourdement handicapés atteignant 18 ou 21 ans et devant trop souvent être envoyés en Belgique pour continuer à être pris en charge - la faiblesse du statut des auxiliaires de vie scolaire accompagnant les enfants ou adolescents accueillis en milieu scolaire ordinaire, n’offrant qu’une formation très limitée et pas de vraie place dans l’Education nationale. Le sous-statut en cours de création pour ces personnels (un CDI après deux CDD de trois ans), éloigné du droit commun, continue de faire de ces emplois des emplois de seconde zone.

Pour quelle(s) politique(s) publique(s) ou pour quels domaines d'action publique, seriez-vous prêts à payer plus d'impôts ?
A titre personnel, je suis d’accord pour payer davantage d’impôts pour que l’action publique soit intensifiée dans le domaine social comme dans celui de la transition écologique, en transparence sur les fléchages, dans le cadre d'une politique de fiscalité qui veillerait à : - généraliser le principe de progressivité à tous les prélèvements (donc y compris la CSG, et les produits financiers) - prendre des mesures fortes et volontaristes d’augmentation des impôts des plus favorisés - mettre des moyens importants de poursuite de la fraude fiscale

Y a-t-il d'autres points sur les impôts et les dépenses sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
A propos des impôts : pour qui a un peu voyagé dans des pays pauvres ou émergents où l'impôt est minimal, mal perçu, et même diabolisé, le lien avec le sous-développement de la protection sociale et des services publics est évident et les inégalités de destin, de vie et de mort, sautent aux yeux, selon qu'on est riche ou pauvre. Pour autant, le cas américain montre que l'existence d'un système fiscal moderne ne suffit pas à créer des conditions d'égalité des chances et d'Etat-Providence efficace. Seule une fiscalité véritablement progressive en est le socle, comme on le voit dans les pays scandinaves.


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