Intégralité de la contribution intitulée "consentement à l'impôt, justice sociale, droits et devoirs"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Fiscalité et dépenses publiques le 3 mars 2019 à Verosvres .

Que faudrait-il faire pour rendre la fiscalité plus juste et plus efficace ?
fiscalité progressive en mettant en œuvre le principe de la faculté contributive

Quels sont selon vous les impôts qu'il faut baisser en priorité ?
TVA sur les produits de première nécessité

Afin de financer les dépenses sociales, faut-il selon vous… [Autres]
lutter contre la fraude fiscale, l'optimisation fiscale, l'évasion fiscale

Quels sont les domaines prioritaires où notre protection sociale doit être renforcée ?
Le logement et la lutte contre la précarité énergétique, la prise en charge des situation de dépendance et de handicap, l'accompagnement des personnes en difficultés sociales et professionnelles, les jeunes

Pour quelle(s) politique(s) publique(s) ou pour quels domaines d'action publique, seriez-vous prêts à payer plus d'impôts ?
Idem

Y a-t-il d'autres points sur les impôts et les dépenses sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
1. Constats et remarques préliminaires Il est difficile de répondre immédiatement à ces questions sans noter leur connotation globale particulière. Leur formulation exprime une certaine réserve à l’égard de l’impôt dont le poids devrait être abaissé, ce qui implique des économies budgétaires et des redéploiements de services publics. Cette stratégie de baisse des impôts contribuera-t-elle, en tant que telle, à rendre la fiscalité plus juste et plus équitable ? Plusieurs remarques peuvent être formulées. a. Dans le cadre du mouvement social des gilets jaunes, la question du poids de la fiscalité a été posée dans des conditions particulières. La contestation de la la hausse des taxes sur le carburant a été liée à deux raisons principales. Pour beaucoup de personnes vivant hors des centres villes, la voiture est un moyen de transport qui n’a pas de substitut faute d’alternatives crédibles ; les pouvoirs publics n’ont pas donné une garantie suffisante que le produit fiscal supplémentaire serait affecté à la transition écologique. Plus généralement, il apparaît que le poids de l’impôt fait l’objet de critiques d’autant plus vives qu’ il est perçu comme inéquitablement réparti. b. Dans le débat public s’instaure une certaine confusion entre impôts, contribution sociale et cotisations sociales pour pointer qu’en France les dépenses publiques (en % du PIB) sont parmi les plus élevées au monde. On oublie d’indiquer que, dans cet ensemble, les dépenses sociales sont majoritaires. Or, les français se déclarent très attachés à leur système social et indiquent, en majorité, préférer contribuer que de voir leurs prestations diminuer (baromètre annuel DREES). c. Les prélèvements obligatoires sont souvent présentés comme une « charge ». On parle notamment de « charges sociales » pour ce qui est, en fait, du salaire différé. Ces prélèvements, certes à un niveau élevé, sont redistribués et alimentent le circuit économique. i. D’où une fonction économique de soutien à l’activité via les revenus des ménages (consommation), les investissements publics (infrastructures, formation, recherche santé, logement, etc.) et le soutien aux entreprises ; ii. D’où une fonction sociale, à travers l’organisation de formes de solidarité variées : redistribution verticale pour limiter les inégalités de revenus, redistribution horizontale (entre bien portants et malades, en direction des familles, etc.) , intergénérationnelle, etc.) et une contribution à la cohésion sociale. d. De nombreux travaux, (OFCE, OCDE) ont souligné que la notion de prélèvements obligatoires devait être interrogée. X. Timbeau (OFCE, 2012) montre que si l'on sort les dépenses de protection sociale et d’éducation, le ratio dépenses publiques/PIB est à peu près le même dans les grands pays de l'OCDE ; les différences de niveau des prélèvements obligatoires dans le PIB s'expliquent par les modes de prise en charge (et de financement) différents des risques sociaux (privé/public/associatif). Dans les pays comme les États-Unis dans lesquels la part de la prévoyance individuelle (sous ses multiples formes) est importante pour faire face aux dépenses de santé ou pour se constituer une pension de retraite, le taux global de contribution est sensiblement le même (à peine 2 ou 3 points de PIB inférieurs). Cependant, l’accès à la couverture sociale (santé, retraite, etc.), et aux services collectifs est beaucoup plus inégalitaire, notamment au détriment de ceux qui ont des revenus un peu supérieurs au seuil d’éligibilité aux garanties minimales universelles du fait de leur âge (personnes âgées) ou de leur situation de pauvreté. Le coût du système de santé y est également sensiblement plus élevé pour des résultats moindres. e. Malgré l’ampleur de la crise de 2008 et de ses conséquences sociales, les inégalités de niveau de vie n’ont pas explosé en France. La pauvreté monétaire au seuil de 60% du revenu médian a progressé pour atteindre 14% de la population en 2016 (+ 1 point environ entre 2008 et 2012, pour se stabiliser ensuite, ce qui représente une augmentation de la population pauvre de l’ordre d’un million de personnes entre 2008 et 2016). Or, avant transferts socio-fiscaux, le taux de pauvreté monétaire à 60% est de 20%. Cela montre l’efficacité, sous cet angle, des prélèvements et des transferts. L’argent n’est pas dépensé inutilement. D’ailleurs, les catégories sociales pour lesquelles la couverture sociale est en partie défaillante, sont plus affectées par la pauvreté monétaire. Ainsi, le taux de pauvreté des chômeurs dépasse 30 %, ce que l’on peut relier en partie au fait que 35 % d’entre eux ne sont pas indemnisables. f. Dans le cadre de la protection sociale, près de 80% des ressources couvrent les dépenses de retraite et de santé. Ces dernières sont particulièrement concentrées à certains âges de la vie et liées à des pathologies particulières. Les 20% restant couvrent les dépenses relatives à la politique familiale, à l’indemnisation du chômage, aux aides au logement et à la lutte contre la pauvreté. g. Les dépenses couvrant ce dernier champ de l’action publique, souvent mises en question, sont particulièrement limitées : si les minima sociaux couvrent 11 % de la population française, leur poids financier représente de l’ordre d’1 point de PIB. En tenant compte des autres prestations (aides au logement, CMU, etc.), le risque « pauvreté » correspond à moins de 3 % du PIB. Contrairement à ce qui est souvent avancé, le niveau du RSA n’assure qu’un revenu bien inférieur à celui procuré par un emploi au SMIC à plein temps. h. Les travaux de l’ONPES sur les budgets de référence (2015) ont montré que le niveau de vie nécessaire pour « participer à la vie sociale »était très sensiblement supérieur au seuil de pauvreté à 60 %. Les ménages ayant un niveau de vie supérieur à ce seuil mais en deçà du niveau des budgets de référence indiquent des privations, des arbitrages et la nécessité d’une vigilance budgétaire constante. Cette situation recouvre sans doute assez largement celle d’une partie de la population des « gilets jaunes » et explique leur réaction face à un risque de diminution de leur pouvoir d’achat. i. La question du niveau de vie en relation avec les dépenses contraintes (loyer, assurances, transports, etc.), posée par le mouvent des gilets jaunes, est fondamentalement liée à celle de la possibilité de vivre décemment de la rémunération de son travail (salarié ou indépendant). De ce point de vue, la réponse qui a été faite via la revalorisation de la prime d’activité paraît très ambivalente. Sa formulation erronée (« le salaire d’un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur ») contribue à discréditer le discours politique. En fait, ce n’est pas le salaire du salarié qui augmente mais le revenu de son ménage puisque la prime d’activité est une prestation sociale soumise à des conditions de ressources appréhendées au niveau du ménage, avec un barème différent pour les propriétaires et les locataires et impliquant une démarche trimestrielle. Plus fondamentalement, après les exonérations de cotisations sociales, ce recours à une prestation sociale dissocie un peu plus le lien entre la rémunération perçue et la prestation de travail fournie et distant la responsabilité sociale des entreprises. Reconnaissant le risque de basse rémunération comme un nouveau risque social, la collectivité y affecte des ressources découlant des prélèvements obligatoires, dont il est dit par ailleurs qu’ils doivent baisser. Au-delà de l’effet à court terme positif en termes de pouvoir d’achat des actifs en emploi, il s’agira d’observer les effets structurants d’un tel dispositif sur le marché du travail et sur l’évolution des rémunérations. j. Concernant l’impôt sur le patrimoine, il serait nécessaire d’avoir une appréciation globale en incluant dans la réflexion et l’analyse les impôts sur le capital (immobilier et financier), les droits de mutation (succession) et la taxe foncière. On doit remarquer que l’ISF avait un produit limité (environ 5 milliards d’€) du fait des nombreuses exonérations prévues. Indépendamment de ses effets éventuels sur le financement réel de l’économie qui sont à évaluer précisément, l’une des conséquences de sa suppression est la diminution des ressources des associations. Celles-ci recevaient des dons permettant de limiter le montant de l’ISF dû. L’action publique a engendré un préjudice supporté par des acteurs particulièrement sollicités dans la vie sociale et notamment dans la lutte contre la pauvreté et la cohésion sociale. 2. La fiscalité juste et efficace a. Cette question doit donc être pensée dans le contexte global évoqué précédemment. Plus fondamentalement, elle ne peut pas être posée sans référence au principe de la faculté contributive des citoyens. Cela renvoie à la question de la progressivité de l’impôt et plus généralement des prélèvements. Or, le système socio-fiscal français, appréhendé globalement, est marqué, de plus en plus, par un prélèvement proportionnel. La TVA et la CSG ont un rôle majeur dans le prélèvement. L’impôt sur le revenu des personnes physiques, en principe progressif, ne l’est plus que partiellement du fait de l’existence d’abattements multiples, généraux ou catégoriels, sans parler du quotient conjugal et du quotient familial. Les travaux d’Alexis Spire ont d’ailleurs montré que le consentement à l’impôt, chez les classes moyennes assujetties, étaient en partie fondé sur ces possibilités d’exonération leur permettant de satisfaire des besoins personnels. Pour la TVA et pour la CSG, les possibilités d’exonération sont quasiment nulles. Il est d’ailleurs indécent de considérer que les ménages non assujettis à l’IRPP ne paient pas d’impôts et que leur imposition serait un gage de citoyenneté et de cohésion sociale. b. L’impôt sur les sociétés doit être examiné non pas à travers son taux facial, en partie théorique, mais à travers le taux réel qu’acquittent les entreprises. De nombreuses analyses ont souligné que les grandes entreprises parvenaient à minorer leur taux réel, de façon parfois très importante, grâce à toutes les possibilités de réductions fiscales. Le jeu sur les transferts de valeur entre établissements ayant des localisations diverses permet de profiter de la diversité des règles fiscales entre les pays d’implantation. À cet égard, le recours à des conseillers fiscalistes, à même de maîtriser plusieurs législations nationales, permet de développer des stratégies d’optimisation fiscale qui engendrent un sentiment d’injustice et ruine le consentement à l’impôt. L’administration fiscale française doit pouvoir disposer des schémas d’optimisation fiscale qui sont élaborés. c. Le débat sur la justice fiscale, enfin, ne peut se dispenser de l’expression d’une volonté politique au niveau européen pour sortir de la concurrence socio-fiscale entre les pays membres. Lors de l’élargissement des années 2000, le choix plus ou moins implicite réalisé alors de ne pas augmenter les transferts en direction des pays nouveaux à la hauteur de leurs besoins, pour ne pas accroître significativement le budget européen a laissé se développer des formes de dumping social aux effets économiques et politiques désastreux. 3. Droits et devoirs a. La question des contreparties aux prestations sociales réapparaît dans le débat public et vise particulièrement les chômeurs et les personnes en situation de pauvreté. Elle est mentionnée dans le document préparatoire au grand débat. En fait, cette question est récurrente comme l’ONPES l’avait rappelé dans son rapport « Penser l’assistance » de 2014. b. La question des droits et devoirs ne peut être posée pour les seuls ménages qui touchent les prestations couvrant ces situations. Elle concerne simultanément ces individus et la collectivité : quelles sont les démarches que les personnes réalisent pour améliorer leur situation ? quelles sont les ressources que la collectivité offre pour aider à surmonter ces difficultés (en matière de santé, logement, formation, transport, emploi) ? Par exemple, les problèmes d’insertion (accès à une formation ou à un emploi) se combinent fréquemment avec les difficultés de mobilité qui interrogent très directement les politiques publiques en matière de transport et la dissociation qui s’est faite au fil du temps entre bassins d’emploi et bassins de vie. c. Renforcer les contreparties, sans mettre en parallèle des moyens conséquents pour développer l’offre, peut avoir des effets pervers. Ainsi, renforcer la condition de ressources en prenant en compte les revenus des ascendants et descendants appauvrit davantage toute la famille ; durcir les conditions pour les chômeurs -offre d'emploi acceptable etc.- en fait sortir une partie de l'indemnisation d'où des difficultés accrues pouvant engendrer des processus dont la réversibilité est rendu encore plus délicate. Il faut sans doute moins raisonner en terme de contrepartie que d’accompagnement. d. Depuis la mise en place du RSA, la croissance du nombre d’allocataires et les conditions peu favorables de compensation financière offerte par l’État ont contraint nombre de Conseils départementaux à baisser leur effort en matière d’insertion. De même, la réduction du nombre des emplois aidés (même s’ils ne débouchent pas toujours sur une insertion professionnelle stabilisée) limite l’accès au marché du travail de personnes particulièrement éloignées de celui-ci. e. L’approche de l’accompagnement ne peut être simplement procédurale (signer un contrat d’engagement réciproque rapidement après l’accès au RSA, prévoir des mesures dans le cadre d’un PPAE avec Pôle Emploi, etc.). L’approche doit être « substantielle », c’est-à-dire permettre un accès affectif à des actions précises mises en œuvre dans un temps proche. Cela interroge les moyens mobilisés par la collectivité pour les développer via les politiques publiques. De plus, leur mise en œuvre concrète implique une coopération entre des acteurs locaux relevant de champs d’intervention variés (formation, emploi, santé, action sociale, logement, etc.), appartenant à des institutions diverses (Conseil départementaux, CAF, Pôle Emploi, etc.) et dont les agents ont des professionalités très différentes. Face à une rareté des moyens disponibles, différents critères de justice locale peuvent être mis en œuvre par ces acteurs tels que le besoin, l’efficacité, le mérite, etc. Cela n’est pas sans conséquences sur les comportements des personnes accompagnées et leur implication dans l’action engagée. f. La question des contreparties doit être posée pour les ménages les plus aisés qui ont bénéficié de la suppression de l’ISF et de la mise en place de la flat tax. g. Il serait paradoxal de ne pas poser la question des droits et devoirs pour les entreprises : quelles contreparties aux aides reçues (CICE, exonérations de cotisations sociales, compléments de salaire via la prime d’activité, etc.) en termes d’emplois créés, d’implication dans des stratégies de transition écologique, etc. 3. Dépenses publiques Outre les ressources nécessaires pour renforcer l’accompagnement des personnes en difficulté, deux priorités sont à retenir. a. La question du logement est cruciale tant du point de vue de son coût que du point de vue de sa qualité énergétique. Cela a une répercussion directe sur le niveau de vie des ménages. La lutte contre la précarité énergétique par un plan très volontaire d’isolation thermique peut remplir un double objectif écologique et social. Les conséquences économiques n’en sont pas moins grandes puis que la comparaison des paniers de biens entre la France et l’Allemagne, montre que les dépenses de logement sont moindres ici que là, ce qui peut avoir contribué, à sa mesure, à la modération salariale observée. Cela pourrait justifier une contribution des entreprises à cet effort collectif. b. La prise en charge des situations de handicap et de dépendance doit être améliorée à la fois en diversifiant l’offre de services pour mieux répondre à la diversité des besoins (et couvrir ceux qui ne le sont pas comme les situations de polyhandicap, par exemple) et améliorer les conditions d’accompagnement par les aidants profanes et professionnels. Pour les uns, cela pose la question de leur formation (initiale et sous forme de validation des acquis professionnels), des conditions de travail (prise en compte des temps de déplacement entre deux interventions), et de leur rémunération. Pour les autres, il faut lutter contre les inégalités de genre, accroître les possibilités de droits à congé et palier leurs conséquences en termes de carrière ou de retraite, prévoir des accompagnements (groupes de parole permettant de lutter contre l’isolement de l’aidant) et des prises en charge temporaires des parents dépendants. c. L’accompagnement des personnes en difficulté doit être renforcé, en développant l’offre en matière de logement accessible, d’emploi (y compris d’emplois aidés qui ont un rôle important pour les personnes les plus éloignées et les possibilités que les collectivités et les associations ont de les aider)


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