Y a-t-il d'autres points sur la démocratie et la citoyenneté sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
Marseille, le 3 février 2019 Monsieur le Président de la République, J’ai l’honneur de solliciter votre attention sur la menace qui pèse actuellement sur un référentiel fondamental de la Démocratie. L’invention de la Démocratie (au sens de Claude Lefort) procède d’une nouvelle grammaire de la valeur dans les pratiques sociales, règles éthiques et politiques fondatrices d’un nouvel espace culturel et politique. Il y a, me semble-t-il, urgence à convoquer et à installer d’authentiques dispositifs démocratiques à même de réfléchir sur le sens, la nature et les critères qui définissent la valeur de nos activités sociales et professionnelles. Se poser la question du mérite symbolique et économique de ce que l’on fait, de ce que l’on produit, de ce que l’on vit, se situe, me semble-t-il, bien au-delà des procédures de quantification et de conformité qui prétendent aujourd’hui définir et garantir les évaluations. Les dispositifs d’évaluation actuels tendent de plus en plus à servir une logique purement quantitative, procédurale et formelle des pratiques professionnelles et sociales conduisant davantage à la servitude volontaire qu’à l’innovation sociale et économique. Non seulement cette « théologie de la valeur », réduite à une cotation, conduit à une perversion des métiers, à une paupérisation des professionnels, à une insatisfaction et à une méfiance des usagers, mais plus encore elle favorise une perte de confiance des citoyens dans le lien social. Les évaluations actuelles tendent à fabriquer de l’imposture, du « court-termisme », de l’individualisme de masse, de l’opportunisme et de l’utilitarisme cyniquement improductif. Cette « théologie », portée par les évaluations actuelles qui se cachent derrière des méthodes pseudo-objectives, altère l’éthique et les finalités de nos pratiques, et se révèle incompatible avec l’audace, le dialogue et la confiance que requiert la Démocratie. Au-delà de la confiance et de la satisfaction de l’usager, c’est le citoyen qu’elle atteint dans le capital de confiance qu’il peut avoir dans les institutions. Les valeurs démocratiques d’égalité, de liberté et de fraternité, ne sauraient s’arrêter aux portes des usines, des entreprises, des services, des laboratoires de recherche, des établissements de soin et d’enseignement, bref des lieux de travail. La soumission sociale imposée par ces dispositifs actuels d’évaluation ne fait pas bon ménage avec l’audace démocratique et avec les exigences de création et d’innovation qu’appelle la situation actuelle. La liberté requiert la présence d’autrui et bien des réconciliations nationales furent l’œuvre d’instances de parole et de moments de fraternité. Il me semble qu’au-delà de tout préjugé et d’engagement partisan, le thème de l’évaluation (et de la métaphysique de la valeur qu’il suppose) pourrait trouver sa place dans le Grand Débat National que vous avez initié. L’instauration de lieux et de moments consacrés aux témoignages, aux récits, aux argumentations contradictoires et au dialogue sur la manière de capter et de définir la valeur, pourrait contribuer à répondre au désir de démocratie. Dans l’espoir et l’attente d’une attention bienveillante à cette question, Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma plus haute considération, Roland Gori Professeur honoraire de Psychopathologie clinique Aix Marseille Université PS. Je vous prie de bien vouloir trouver ci-après la pétition « Stop au gâchis humain ! Refusons les évaluations comptables de nos métiers ». Elle a été mise en ligne le 26 janvier et fait suite à une Tribune intitulée « Désir de démocratie », co-signée avec le Dr Marie-José Del Volgo, et parue le 8 janvier 2019 dans Libération. « Nous, Conseil de l’Appel des appels, faisons notre le texte ci-après de Roland Gori et Marie-José Del Volgo publié dans Libération du 8 janvier 2019 https://www.liberation.fr/debats/2019/01/07/gilets-jaunes-un-desir-de-democratie_1701472 et nous appelons à signer notre appel « Stop au gâchis humain ». Appel et pétition à signer en cliquant ici. En effet que valent les politiques sociales et économiques qui, au nom de la raison budgétaire, ne tiennent absolument pas compte des maltraitances et des morts des humains abandonnés dans la rue, dans les EHPAD et jusqu’à l’hôpital produisant des catastrophes sanitaires et humaines ? La vulnérabilité des patients et des soignants, l’angoisse des familles et des professionnels, sont méprisées et rendues invisibles par une bureaucratie aussi féroce qu’inefficace. Ces violences symboliques et matérielles font le jeu des populismes et des extrémismes avec d’autant plus de facilité que la culture et l’information sont marchandisées sous l’effet des modes et du « présentisme », bradées comme spectacles éphémères et inconsistants. Cette obsolescence de l’humain est aggravée par un déclin des humanités, par un effondrement des dispositifs de formation à l’esprit critique et à la réflexion traditionnellement assurés par l’éducation, la recherche et la culture. Le lien démocratique et la pensée critique fondés sur le goût de la liberté et de la justice sont sacrifiés par des dispositifs d’intimidation sociale qui se prétendent « expertises ». Ça suffit ! Il ne faut plus céder à la curatelle technico-financière des humains accomplie par ces pseudo évaluations qui ignorent délibérément le gâchis humain qu’elles produisent, la perte du sens de l’existence, la dévalorisation des vies, le désespoir et le malheur, au profit d’une logique de domination sociale. Aujourd’hui où, de nouveau, des printemps de colère et de désespoir émergent refusons ces pseudo évaluations, vecteur essentiel d’une politique de prolétarisation des métiers et de paupérisation des professionnels. Arrêtons ces impostures que sont les évaluations comptables et les fake news sur lesquelles elles s’appuient. Exigeons que les mesures de la valeur prennent en compte le coût humain. »
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