En qui faites-vous le plus confiance pour vous faire représenter dans la société et pourquoi ?
D'abord en mes élus. Parce que 100000 personnes dans la rue ou 100000 like ou retweet sont l'expression forte d'une conviction ou d'un intérêt particulier, mais ne sont pas l'expression de l'intérêt général. Personne n'est "l'intérêt général". Il ne se dégage que de discussions et de compromis entre tous et il faut des institutions pour cela -- une confiance aussi qu'à la fin, dans tous les domaines, y compris ceux qui ne m'intéressent pas ou auxquels je ne comprends rien, on puisse aller au mieux des intérêts de tous. Parfois, cela va contre mon propre intérêt. Mais c'est compliqué, un pays, une Europe et un monde, et si je suis amené à croire que mon opinion doit directement s'imposer, je ne serai plus en mesure d'accepter l'idée que l'intérêt général ne peut jamais être conçu dans une seule tête. Vive la démocratie représentative.
En dehors des élus politiques, faut-il donner un rôle plus important aux associations et aux organisations syndicales et professionnelles ?
Oui
Si oui, à quel type d'associations ou d'organisations ? Et avec quel rôle ?
La France connaît un taux de syndicalisation particulièrement faible, des syndicats divisés et parfois excessifs, et une disproportion flagrante entre la potentialité forte de revendications sociales violentes et la faiblesse du conflit social organisé et productif, là où ça se passe. Je pense qu'une obligation de se syndicaliser, avec des cotisations symboliques et une prise en charge par l'Etat (et/ou les partenaires sociaux) du financement des syndicats au prorata des résultats des élections professionnelles, serait une mesure de nature à changer profondément le "triangle" Etat/citoyens/entreprises, triangle dont deux côtés (Etat-citoyens et Etat-entreprises) sont pour l'instant hypertrophiés. Parallèlement, un renforcement important de la place des syndicats, et directement des salariés, dans le capital et surtout la cogestion des entreprises permettrait à la France de s'inspirer de modèles qui marchent très bien dans des pays voisins. L'investissement est l'affaire de ceux qui peuvent investir et ont leur logique, légitime; mais l'entreprise n'est pas l'affaire que des investisseurs et il faut en faire un lieu politique au sens le plus noble du terme. Pour la fonction publique aussi, l'obligation de la syndicalisation rendrait la place parfois perçue comme excessive de certains syndicats dans les procédures (négociations, promotion des personnels, etc.) plus légitime, plus efficace, plus dynamique.
Que faudrait-il faire pour renouer le lien entre les citoyens et les élus qui les représentent ?
Faire du Grand Débat plus souvent, et à plusieurs échelles! Faire en sorte qu'on sache mieux à quoi un élu sert en répartissant mieux les compétences entre les différentes institutions élues. Il convient d'analyser en profondeur pourquoi le lien avec le maire est plus fort qu'avec d'autres. Enfin, les conditions du vote, le nombre et la répartition des élus sont aussi importants.
Le non-cumul des mandats instauré en 2017 pour les parlementaires (députés et sénateurs) est :
Une bonne chose
Pourquoi ?
D'abord pour éviter l'idée qu'on ne se fait élire que pour cumuler des pouvoirs et "prébendes", et qu'on peut ne pas consacrer tout son temps à tel mandat, puisqu'on peut en avoir un autre. Ensuite pour éviter le sentiment qu'un homme ou une femme politique "s'en sort toujours": si on perd un mandat, on n'en n'a pas un autre en réserve. Enfin, pour améliorer la perception du rôle de chaque institution élective, puisque chacune sera peuplée de personnes différentes.
Que faudrait-il faire pour mieux représenter les différentes sensibilités politiques ?
C'est d'abord le travail des sensibilités elles-mêmes: il faut savoir là aussi faire des compromis et s'allier pour obtenir le nombre suffisant de voix. Le scrutin majoritaire permet toutefois de dégager des majorités, et c'est essentiel pour le fonctionnement des institutions. Alors peut-être faudrait-il varier davantage les modes de scrutin pour dégager d'un côté des organes majoritaires pour les domaines où il faut des décisions immédiates et décidées, et de l'autre des organes de réflexion, d'évaluation, de débat, d'enquête, de contrôle qui fassent droit à des sensibilités plus variées et à des modes de désignation plus inventifs (une part de tirage au sort par exemple, comme pour les jurés des cours d'assise)
Pensez-vous qu'il serait souhaitable de réduire le nombre d'élus (hors députés et sénateurs) ?
Non
Que pensez-vous de la participation des citoyens aux élections et comment les inciter à y participer davantage ?
Même si le pays voisin où le vote est obligatoire n'est pas un modèle d'efficacité en matière d'institutions représentatives, il me semble quand même que cette solution resterait la seule pour faire de la participation non pas une option, mais un devoir (et un devoir de choisir même quand on n'est pas entièrement satisfait de l'offre, ce qui exclut le vote blanc). C'est un devoir que de payer ses impôts, cela devrait être aussi un devoir que d'élire ceux qui les votent.
Faut-il prendre en compte le vote blanc ?
Non
Que faudrait-il faire aujourd'hui pour mieux associer les citoyens aux grandes orientations et à la décision publique ? Comment mettre en place une démocratie plus participative ?
La démocratie participative pourrait vite devenir le droit de celui qui parle le plus fort sur ce qui l'intéresse le plus (c'est-à-dire ce qui est le plus dans ses intérêts, et ce sur quoi il a les convictions les plus tranchées). Il ne faut pas instaurer une démocratie à l'applaudimètre et aboutir à une dépense considérable d'énergie, de la part de ceux qui sont les plus motivés, les plus "sachants" ou les plus disponibles, pour imposer une cause ou une opinion. La demande de "plus de démocratie participative" me semble souvent relever d'une certaine paresse au moment de mettre en oeuvre sérieusement la démocratie représentative (c'est-à-dire au moment de s'informer et de voter).
Cela dit, le modèle à creuser pour développer la démocratie participative est celui des jurys populaires dans notre système judiciaire. Si on a confiance dans le tirage au sort pour condamner quelqu'un à la prison à perpétuité, alors on peut sans doute appliquer ce modèle pour le suivi de décisions, l'examen de grands projets, les enquêtes sur l'action publique voire sur l'action d'une femme ou d'un homme publique dans des cas graves. Mais il faut des conditions favorables: que le tirage au sort soit incontestable, que les tiré(e)s au sort aient le temps et la disponibilité pour travailler (compensation de leurs revenus pendant la mission), que le rendu des débats soit complet et pluraliste -- et que leur anonymat soit garanti.
Faut-il faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée (le RIP est organisé à l'initiative de membres du Parlement soutenu par une partie du corps électoral) qui est applicable depuis 2015 ?
Oui
Si oui, comment ?
Je clique "oui" mais ce n'est pas tant sur le déclenchement du RIP (acronyme malheureux...) que sur ses modalités qu'il me semble qu'il faut progresser. Le problème d'un référendum est qu'il est trop simple et tranché, et sert souvent d'exutoire à un mécontentement. On vote pour ou contre celui, celle, celles ou ceux qui déclenchent le référendum, que ce soit le Parlement ou seulement le Président ne change rien à l'affaire. Des garde-fous sont donc nécessaires:
1) Un référendum ne doit pas simplifier une question. Un référendum "par QCM" devrait être possible, certaines réponses en excluant d'autres pour éviter les résultats absurdes. Un temps suffisant (un trimestre?) devrait être ménagé entre la décision de faire un référendum et la diffusion des questions, et le référendum lui-même.
2) Un référendum ne doit pas revenir à rejouer le match d'une élection. Il est difficile d'interdire à un élu de démissionner à cause du résultat d'un référendum, mais il faudrait chercher quelque chose dans ce sens-là. Un référendum n'est pas une pétition et il serait donc nécessaire que plusieurs instances se mettent d'accord pour le référendum, et puissent présenter des propositions alternatives dans le même référendum, ou des options et des gradations (d'où l'idée du "QCM")
3) Les conséquences financières d'un référendum doivent être abordées dans les questions. En particulier, toute mesure proposée par référendum et ayant des conséquences financières chiffrables devrait obligatoirement être accompagnée de propositions pour dégager les revenus correspondants.
Que faudrait-il faire pour consulter plus directement les citoyens sur l'utilisation de l'argent public, par l'Etat et les collectivités ?
Il existe de plus en plus d'expériences de budgets participatifs. Il conviendrait d'en faire un bilan approfondi pour voir si cette expérience peut être diversifiée. La déclaration de revenus serait un bon endroit pour l'indication de choix.
Cela dit, l'utilisation de l'argent public est un domaine complexe, technique, où les résultats ne se lisent pas directement et qui comporte des contraintes fortes (l'emploi des fonctionnaires par exemple). Là aussi, l'"applaudimètre" risque de favoriser ce qui est immédiat et simple, mais pas forcément efficace à long terme. Je ne suis pas sûr que le jeune Einstein aurait reçu de l'argent public si les citoyens avaient eu à se prononcer.
Il y a donc 1) un travail à faire pour déterminer ce sur quoi la consultation des citoyens peut être une excellente chose, sur le modèle des budgets participatifs des municipalités, cela concerne donc avant tout de l'investissement "visible"; 2) une réflexion à engager sur une vérification a posteriori par des jurys citoyens ou par un Conseil de la République renouvelé (voir ci-dessous), mais en prenant le temps de leur expliquer (comme à tout le monde d'ailleurs) comment fonctionne un budget, l'Etat, et le long terme.
Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, doivent-elles jouer pour représenter nos territoires et la société civile ?
Fusionnons le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental. Redonnons lui le nom de Conseil de la République. Expérimentons là des modes différents de désignation (vote direct des citoyens avec parité et bonne dose de proportionnelle; représentants des élus locaux et des syndicats; citoyens tirés au sort; place réservée, avec les aménagements nécessaires, à des représentants d'enfants et d'adolescents, de personnes handicapées et d'experts; participation régulière des députés européens). Et on pourra en faire une instance de délibération sur le long terme, de proposition qu'il faudra réellement prendre au sérieux, d'évaluation de l'action publique, d'enquête et d'examen, et enfin une instance qui aura un rôle déterminant (c'est-à-dire une compétence institutionnelle forte) dans l'aménagement du territoire. Et on pourra cesser la "navette" législative dont je n'ai pas l'impression qu'elle serve à grand-chose d'autre qu'à des jeux de partis.
Faut-il transformer [nos assemblées, dont le Sénat et le CESE] ?
Oui
Si oui, comment ?
(voir réponse précédente)
Que proposez-vous pour renforcer les principes de la laïcité dans le rapport entre l'Etat et les religions de notre pays ?
Appliquer la laïcité plus rigoureusement. Par exemple: soit une religieuse catholique ne peut pas sortir voilée dans l'espace public, soit tout le monde peut sortir voilé(e). Le statut des associations cultuelles, de leurs revenus, de leur organisation, doit être unifié et rendu plus transparent -- pour toutes les religions. Une opinion religieuse ne doit pas faire l'objet d'un respect d'une autre nature que n'importe quelle opinion.
Comment garantir le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs intangibles de la République ?
L'école a son rôle à jouer -- et ne le joue pas si mal. Elle pourrait le jouer davantage en développant l'égalité de tous, y compris au plan des symboles. Un enfant n'a pas à porter un signe religieux à l'école -- mais il n'est pas meilleur, pour les valeurs de la République, qu'il puisse exhiber des vêtements très chers ou le portable dernier cri. La blouse pour tous n'était pas une si mauvaise idée.
Que faudrait-il faire aujourd'hui pour renforcer l'engagement citoyen dans la société ?
Une meilleure reconnaissance du volontariat et de la générosité. Un service citoyen obligatoire, pas seulement pour la jeunesse, mais aussi une fois dans la vie adulte (pas forcément six mois de service... mais un quota d'heures d'engagement citoyen, avec une définition très large et une grande inventivité pour les possibilités. Aller nettoyer une plage sale ou être scrutateur lors des élections pourraient entrer dans ces tâches).
Quels sont les comportements civiques qu'il faut promouvoir dans notre vie quotidienne ou collective ?
S'écouter les uns les autres. Et s'informer avant de vociférer
Que faudrait-il faire pour favoriser le développement de ces comportements civiques et par quels engagements concrets chacun peut-il y participer ?
Le contingent obligatoire d'heures d'engagement sur une vie adulte pourrait y contribuer. Pour le reste, c'est un thème si vaste et dont la réponse implique tant d'acteurs qu'il est difficile d'y répondre ici.
Que faudrait-il faire pour valoriser l'engagement citoyen dans les parcours de vie, dans les relations avec l'administration et les pouvoirs publics ?
La syndicalisation obligatoire, la multiplication des instances citoyennes de contrôle et de délibération, la valorisation de l'engagement par exemple associatif seraient sans doute des facteurs positifs. Les enfants et adolescents doivent en outre désormais faire des stages en entreprise. Faire faire également des stages d'observation dans des services publics leur permettrait de comprendre concrètement à quoi sert l'argent public.
Enfin, il est absolument nécessaire de reprendre sérieusement l'instruction publique dans le système scolaire. L'ignorance générale en matière d'institutions publiques et de fonctionnement de l'administration est une des choses les plus désolantes en France.
Quelles sont les incivilités les plus pénibles dans la vie quotidienne et que faudrait-il faire pour lutter contre ces incivilités ?
Il me semble que des "travaux d'intérêt général obligatoires" seraient plus utiles que des amendes pour ceux qui salissent, cassent, fraudent.
Que peuvent et doivent faire les pouvoirs publics pour répondre aux incivilités ?
(voir ci-dessus)
Quel pourrait être le rôle de chacun pour faire reculer les incivilités dans la société ?
La légion d'honneur accordée récemment à un jeune homme qui a eu le courage de s'interposer entre des insultés et des insulteurs me semble valoriser ce qui devrait être le rôle de chacun
Quelles sont les discriminations les plus répandues dont vous êtes témoin ou victime ?
Discriminations sur la couleur de peau et envers les femmes. Tout en ajoutant que, là où je suis, je ne considère pas ces discriminations comme systématiques, loin de là
Que faudrait-il faire pour lutter contre ces discriminations et construire une société plus solidaire et plus tolérante ?
De nombreuses solutions ont été élaborées et mises à l'épreuve, en particulier par les sciences sociales: il existe des techniques pour "invisibiliser" les stigmates au moment nécessaire, et des résultats probants sur le fait qu'on tend à discriminer avant tout ce que l'on ne connaît pas personnellement. Mieux prendre en compte ces travaux des sciences sociales est une nécessité
Pensez-vous qu'il faille instaurer des contreparties aux différentes allocations de solidarité ?
Non
Que pensez-vous de la situation de l'immigration en France aujourd'hui et de la politique migratoire ? Quelles sont, selon vous, les critères à mettre en place pour définir la politique migratoire ?
Cette question recoupe trois choses différentes
1) d'une part le système migratoire en général, qui va bien au-delà d'ailleurs de la politique migratoire (il suffit par exemple de dire que si la plupart des immigrés, même en situation irrégulière, travaillent, c'est bien qu'il y a un "besoin" économique d'immigration)
2) d'autre part la politique d'intégration, c'est-à-dire d'égalité des chances mais aussi d'éducation aux valeurs de la communauté nationale
3) enfin, la perception de l'immigration et la capacité à l'accepter, dont on sait qu'elle est d'autant moins forte que la présence réelle d'immigrés sur place est faible -- mais qui est tout de même un élément à prendre en compte pour la politique migratoire, pas le seul toutefois.
Une meilleure pédagogie sur la distinction entre tout cela, et sur la complexité du problème, serait absolument nécessaire pour éviter de tomber dans un débat peu digne d'une France qui, en Europe, a la particularité à peu près unique d'être depuis très longtemps, et d'être très profondément, un pays d'immigration
En matière d'immigration, une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ?
Il me semble que ce serait à peu près inutile, dans la mesure où ce n'est pas le Parlement qui fait venir les immigrés, ni qui les emploie. Il vaut mieux sereinement définir les principes d'une politique, et non un chiffre.
Que proposez-vous afin de répondre à ce défi qui va durer ?
Peut-être d'y voir autant une chance qu'un défi -- et surtout d'y voir une donnée qu'il faut essayer de maîtriser mais qui, si elle pose un nombre considérable de problèmes, n'est pas en soi un problème, car "l'immigration" n'existe pas, il n'existe que des immigrés tous différents
Quelles sont, selon vous, les modalités d'intégration les plus efficaces et les plus justes à mettre en place aujourd'hui dans la société ?
Eviter les situations longues de précarité. Dire plus clairement et plus vite qui peut rester ou pas (cette décision n'étant pas de principe, ni pour "préserver la France", mais très concrète et circonstancielle pour concilier le possible et l'acceptable). Ensuite, faire tout pour éviter les discriminations, mais aussi tout pour imposer le respect des mêmes valeurs à tous, et favoriser une accession rapide à la nationalité française, pas seulement par naissance (un droit qui a contribué à faire la France), mais par démarche personnelle.
Y a-t-il d'autres points sur la démocratie et la citoyenneté sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
Merci pour le grand débat! Il n'est pas hélas entièrement dans les moyens des pouvoirs publics de faire en sorte que les citoyens préfèrent s'informer, réfléchir et discuter plutôt que d'être "en colère" et de "ne lâcher rien". Mais peut-être que le débat y contribuera.
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