Que pensez-vous de l'organisation de l'Etat et des administrations en France ? De quelle manière cette organisation devrait-elle évoluer ?
Je n'évoquerai que le domaine de la recherche publique, qui est celui que je connais bien. La bureaucratie y génère des coûts considérables, tout en poursuivant des objectifs contradictoires, source de blocages et de pertes de temps ... et d'argent. - Premier exemple, l'évaluation omniprésente. On peut être évalué au même moment à titre personnel, pour son équipe de recherche, pour son laboratoire, pour son Ecole Doctorale, pour son Etablissement de rattachement ... Les coûts de ces évaluations sont systématiquement sous-évalués, car une grande partie de ce travail est délégué aux chercheurs eux-mêmes et ne fait pas l'objet d'une comptabilité (voir le temps réel passé par les chercheurs pour l'ANR et pour l'HCERES, à comparer à celui qui est pris en compte dans les calculs de coûts, sans compter les évaluations parallèles menées par le CNRS, le CoNRS, et les Etablissements de rattachement ; Ecoles, Universités, ...). Deux autres exemples de bureaucratie stérile : - le système d'indemnisation des missions, qui va jusqu'à l'archivage de tickets de bus ou métro. L'indemnisation forfaitaire devrait être la règle générale. Je l'ai utilisée dans le passé : une fois nous étions gagnants, une fois perdants, l'un dans l'autre c'était satisfaisant et surtout d'une grande simplicité. La tâche administrative correspondante était simple et rapide, de même que les vérifications après coup. Aujourd'hui, le système certes beaucoup plus précis utilisé conduit systématiquement à des aller-retour de dossiers, à des frustrations devant des dépenses qui ne peuvent être remboursées, et à un travail administratif disproportionné (qui génère un coût bien supérieur aux éventuelles économies réalisées). - les restrictions de toutes sortes liées à la Protection du patrimoine scientifique et technique (PPST), aux fonctionnaire de Sécurité et Défense (FSD) et aux """"zones à régime restrictif”"" (ZRR). Le champ d'application strict aurait dû être limité à quelques Unités de recherche particulièrement sensibles, mais s'est trouvé généralisé à pratiquement toute la recherche (au moins en ingénierie et dans les sciences dures). Là aussi, le rapport coût/bénéfices est incroyablement élevé et totalement hors de propos. Et il ne s'agit pas que de coût financiers, mais aussi de blocages de personnes et de projets, sur décision arbitraire de fonctionnaires lointains qui n'ont pas à expliquer leurs décisions (pour faire venir dans mon Laboratoire un collègue étranger pourtant nommément membre d'un projet international déjà validé, il faut 6 mois de démarches administratives, sans garantie de succès). Ces lointains fonctionnaires se ""couvrent"" en appliquant à tout des mesures extrêmes. A moyen terme, les conséquences seront catastrophiques : la recherche a besoin avant tout de créativité, et pour cela de circulation facile des idées et des personnes. Oui, les chercheurs sont maintenant tranquilles derrière des portes à codes, on n'entre plus ""par hasard"", les laboratoires sont inaccessibles aux étudiants non préalablement ""élus"" : est-ce un bien ? J'en doute. Propositions : - Missions des fonctionnaires : retour à un droit réel à l'indemnisation forfaitaire, qui doit redevenir la pratique par défaut. - Evaluations et agences de financement : suppression de l'ANR et transfert de ses moyens aux Etablissements (CNRS et autres, Universités, Ecoles, ...), évaluation des laboratoires par le seul CoNRS - Evaluations individuelles (y compris pour les candidatures aux postes publics) à partir d'un CV électronique public (sur le modèle brésilien Lattes), modèle standard obligatoire pour toutes les évaluations, contenant les listes de publications officielles tirées d'une base de donnée publique unique (HAL). Cette seule mesure ferait gagner à chaque chercheur ou candidat chercheur un temps absolument considérable. - PPST : mise en place d'une mission d'évaluation par les parlementaires, avec un objectif qui pourrait que les missions de protection ""centralisées"" soient ciblées sur un nombre très restreint d'Unités de recherche, le reste étant pris en charge de manière beaucoup plus pragmatique et décentralisée (sous la responsabilité des Etablissements, en concertation beaucoup plus étroite avec les acteurs de terrain). - Suppression des droits d'inscription pour les doctorants. Il est totalement absurde que la Charte des Thèses exige que nos doctorants aient un contrat de travail, et donc un salaire, et que par ailleurs un mois de ce salaire soit chaque année ""prélevé"" au titre des droits d'inscription. - voir plus bas pour les post-doctorants
Selon vous, l'Etat doit-il aujourd'hui transférer de nouvelles missions aux collectivités territoriales ?
Oui
Si oui, lesquelles ?
Je ne voulais pas répondre à cette question, mais il est impossible de ne pas se prononcer.
Pouvez-vous identifier des règles que l'administration vous a déjà demandé d'appliquer et que vous avez jugées inutiles ou trop complexes ?
Voir ma contribution sur la recherche publique
Y a-t-il d'autres points sur l'organisation de l'Etat et des services publics sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
La formation au métier de chercheur (post-doctorat) au sein des Etablissements Publics à caractère Scientifiques et Technologiques (EPST) ou des Universités est encadrée par un contrat de travail à durée déterminée (CDD). Elle s’inscrit donc dans un contexte juridique régulant l’utilisation du CDD au sein de la fonction publique (Loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 et par la loi Sauvadet ou Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012). Cette législation s’applique indistinctement à tous types de métiers et restreint alors en pratique le post doctorat à 5 années. Paradoxalement, le recrutement d’un chercheur ou d’un enseignant-chercheur n’a lieu que bien au-delà de 5 années après l’obtention de son doctorat. Ainsi, faute de cadre législatif adapté, une grande partie des scientifiques réalisant un post-doctorat en France se retrouve exclue du système de recherche académique avant même d’avoir pu finir ses travaux de recherche et d’avoir été évaluée par ses pairs. Au contraire, ceux qui ont réalisé leur post doctorat hors de France peuvent plus facilement compter sur une durée de formation compatible avec l’aboutissement de leurs travaux scientifiques. Cette problématique est particulièrement accentuée dans certaines disciplines expérimentales dans lesquelles la contrainte du temps scientifique, incompressible, est en profonde inadéquation avec le statut juridique actuel du contrat de travail des post doctorants. En résulte une inégalité entre les disciplines scientifiques et une triple perte pour les laboratoires de recherche français : scientifique, humaine et financière. > Dans ce contexte de discussions des futurs projets de loi de programmation de la recherche et de loi de transformation de la fonction publique, il apparaît absolument nécessaire, pour répondre aux futurs enjeux de recherche de notre pays, que soit autorisée la possibilité pour les EPST et les Universités d’avoir recours à des contrats de travail autres que le CDD. Ces contrats leurs permettraient de prendre en compte les spécificités et particularités de la recherche, notamment celle de temps, pour recruter leur post doctorants sur des échéances acceptables et cohérentes avec les durées de projets de recherche et la carrière de jeunes scientifiques. La compétitivité des laboratoires de recherche français est intimement liée à l’attractivité des carrières scientifiques, permettons aux jeunes scientifiques exerçant dans les laboratoires français de développer leur talent.
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