Intégralité de la contribution intitulée "Un nouveau projet commun pour les campagnes françaises"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Organisation de l'état et des services publics le 3 mars 2019 à Ranspach .

Que pensez-vous de l'organisation de l'Etat et des administrations en France ? De quelle manière cette organisation devrait-elle évoluer ?
Adjoint au maire depuis 35 ans d'un petit village de la montagne vosgienne, j'y observe les importantes transformations sociales, avec une augmentation du niveau de vie mais également une perte des pratiques et solidarités traditionnelles. Président depuis presque 20 ans de la communauté de communes de la vallée de Saint-Amarin, qui a subi un rude choc de désindustrialisation avec la perte de plus de 1500 emplois sur 5500 actifs, j'anime avec les élus et des militants la difficile revitalisation de notre territoire. Grâce à une très énergique réhabilitation des friches industrielles et au tourisme, nous créons à nouveau beaucoup d'emplois et nous développons des services modernes à la population, plus riches que dans le passé. Même si tout n'est pas gagné, la vallée retrouve sa vitalité. Directeur d’un bureau d’études en développement rural depuis 40 ans, je parcours -et j'étudie - un grand nombre de territoires ruraux français. J'y observe beaucoup d'énergie positive, de bonnes stratégies intercommunales avec des projets de développement local réussis, en bref, un rural qui bouge bien . C'est pourquoi je suis interloqué du discours négatif sur les campagnes de France qu'on entend en permanence sur les médias nationaux, parfois même de la part d'élus ruraux. Ce dénigrement, amplifié avec la crise des gilets jaunes, me paraît totalement décalé par rapport à la réalité que j’observe dans mes fonctions d’élu et d’aménageur. Non, le rural ne va pas si mal...Et si quelques secteurs restent en panne, les atouts des campagnes françaises sont meilleurs que jamais. La population y croit presque partout, et la fameuse ""diagonale du vide"" qui part de la Meuse en direction du Massif central continue de se rétrécir. Il suffit de regarder une carte de l'évolution démographique de l'Europe pour voir que la France a une très belle vitalité rurale, contrairement à la plupart des pays du nord et de l'est de l'Europe(1). Nos campagnes créent aujourd’hui des emplois (2) pour servir la population, des emplois liés aux ressources agricoles et touristiques et même des emplois productifs industriels . Des milliers d'initiatives locales voient le jour et le déploiement de l’Internet haut débit permet à beaucoup de PME de s’installer dans le rural tout en étant présent sur un marché mondial (3). Un designer connu peut habiter et travailler dans un petit village et aller une fois par semaine dans la métropole rencontrer ses clients ; un grossiste en vins peut faire du commerce mondial par internet depuis son bureau dans un hameau rural. Une jeune équipe de techniciens en plasturgie peut créer une belle unité de production dans une friche industrielle rurale pour devenir un leader national. Aujourd’hui, il est plus facile de créer de l'activité en milieu rural : la location des locaux y est peu onéreuse ; l’accueil est généralement bon ; le coût de la vie y est moins cher et les salaires moins élevés. Finalement, les coûts de production y sont plus faibles qu'en ville. L'Internet encourage le travail en réseau mondial : à terme, il affaiblira les pôles urbains, pollués et couteux . Et contrairement à ce que nous assène jour après jour les médias nationaux, les services à la population sont souvent bien développés dans les campagnes, grâce à l’action des communautés de communes rurales : elles ont signé des contrats ""enfance et jeunesse"" avec la CAF et développent des services complet à l'enfance, souvent meilleurs qu'en ville ; elles ont créé des médiathèques, des écoles de musique, des services de culture et de loisirs ; elles soutiennent l'artisanat et le commerces local ; elles aménagent (plus ou moins bien !) l'espace rural pour encourager l' agriculture, tout en préservant des paysages , cadres de vie des habitants, agréable à parcourir. C’est vrai, des écoles ferment dans certains villages mais pour être regroupées dans des pôles ruraux intercommunaux, aux services scolaires de qualité. Et le regroupement des services de poste à une échelle plus large n’est pas gênant : une part majoritaire des habitants a maintenant un courriel et le facteur continue à passer partout. L'Internet des objets fonctionne bien : où que l'on habite en milieu rural, une commande quelconque, faite par Internet est livrée dans les deux jours : jamais le rural n'a été aussi bien servi ! Il reste cependant une épine majeure dans le pied des ruraux, celle de la désertification médicale, bien réelle. Finalement, alors que la plupart des ruraux sont contents d'habiter dans des campagnes, d'où viennent donc les discours négatifs, souvent portés par les habitants eux-mêmes. J'y vois trois causes, qui se cumulent : le bouleversement des sociétés rurales, la perte de l'esprit du développement local, la posture négative des élites par rapport aux campagnes 1. Le bouleversement des sociétés rurales et la perte de l'esprit communautaire. En moins de 30 ans, les sociétés rurales ont profondément changé, perdant en solidarité et en confiance en elles. Les traditions culturelles et d'entre-aide villageoises se sont affaissées . Les églises et syndicats ruraux (ouvriers ou agricoles), porteurs du 'lien commun"" ont presque disparu. L'individualisme est devenu la norme. Alors que le revenu par habitant augmente, les moyens financiers d'une partie des ménages baissent : certaines familles s'appauvrissent par les divorces et recompositions. L'allongement de la durée de la vie laisse beaucoup des personnes âgées isolées, et le placement en maison de long séjour est coûteux pour les familles. Il y a quelques décennies, l'usage des biens ruraux (jardinage, bois d'affouage, etc.) et les solidarités familiales et villageoises servaient d'amortisseurs aux précarités. Aujourd'hui cela a disparu. Une partie croissante des ruraux se sent appauvri, sentiment accru par les réseaux sociaux et la publicité qui font de la possession des biens matériels, le critère majeur du bonheur (4). Et cela alors même que les aides sociales aux plus démunis ont fortement cru depuis une trentaine d'années. La revivification du lien social et des solidarités rurales est donc un enjeu majeur de l'avenir de ces territoires. Ce qu'exprime aussi -en partie- le mouvement des gilets jaunes. Encourager la revivification de communautés territoriales vivantes est une nécessité absolue. Les pays anglophones appellent cela ""Community development"" = développement communautaire, des mots tabous chez nous, ce qui est bien dommage ! (5) 2. La perte de l'esprit du développement local. Aujourd'hui, les campagnes françaises ne sont plus traversées par des mouvements idéologiques et culturels positifs, tels qu'ils ont été présents à deux reprises après la deuxième guerre mondiale. Dans les années 50, la modernisation de l'agriculture et l'équipement rural des communes ont bouleversé les zones rurales. La JAC (jeunesse agricole chrétienne) a fédéré cette évolution mêlant projets collectifs et innovations. Plus près de nous, dans les années quatre-vingt, le puissant mouvement du ""développement local"", du ""vivre et travailler au pays"" a conduit dans chaque canton rural des centaines d'élus et militants à se réunir, à discuter l'avenir, à construire les premières structures intercommunales d'aménagement et de développement, devenues communautés de communes. Les services de l'Etat français, ""noyautés"" par des jeunes militants issus de mai 68, rencontraient sur le terrain des notables, responsables associatifs, entrepreneurs et également des néoruraux venus chercher leur bonheur dans les campagnes (6). Les lois de décentralisation de 1982 accompagnèrent ce mouvement qui fut crédibilisé par de nouveaux mécanismes financiers encourageant la solidarité locale (la dotation intercommunal de fonctionnement augmentait quand la solidarité intercommunale s'accroissait). Une démocratie horizontale existait dans ces communautés de communes rurales, les villages (leurs militants) ayant presque autant de voix que les grosses communes, où les notables étaient plus présents (7). Ce mouvement très positif s'est progressivement éteint à partir de 2000, avec la montée en puissance des technocraties non militantes dans toutes les structures publiques concernées par le rural. Les dernières lois sur l'intercommunalité (loi Notre, etc) ont ""tué"" ce mouvement en favorisant de très grandes communautés de communes en partie déconnectées du terrain, et en brisant la démocratie horizontale initiale. Et les petites communes se méfient à présent de leur propres communautés de communes, ce qui est un comble. Les efforts de rationalisation (de mutualisation) de l'action publique locale entre les communes et l'intercommunalité sont au point mort. Aujourd'hui, pourtant, on observe, ici et là, un renouveau du développement local : des militants écologistes, altermondialistes ou autres, sensibles à la crise climatique mondiale, veulent à leur tour vivre et travailler à la campagne, dans un environnement plus proche de la nature, pour fabriquer de bons produits. J'espère qu'ils sont l'amorce d'un nouveau mouvement qui pourrait réenchanter des campagnes. En tout cas, il est urgent de redonner un souffle nouveau aux communautés de communes rurales, qui doivent être la base d'une démocratie locale réinventée, d'une rationalisation des services publics locaux, mais aussi d'un projet de territoire partagé. Cela implique quelles retrouvent une taille raisonnable où la proximité avec les habitants est possible. Leur gouvernance doit être la plus horizontale possible : la tradition française et le code des collectivités locales donnent trop de pouvoir aux présidents et aux maires, ce qui parfois peut « monter à la tête » ! 3. La posture négative des responsables des élites par rapport aux campagnes. Comme militant et technicien du développement rural depuis 40 ans, je suis étonné par l'évolution des postures de ceux qui accompagnent le territoire rural. Aujourd'hui, les élites administratives, techniques, culturelles et médiatiques sont souvent incultes sur les phénomènes qui traversent les campagnes, et donc ne tiennent qu'un discours pauvre, normatif (de contrôle) voire négatif. Et cela vaut même pour celles qui s'occupent directement de l'espace rural. Dans les années 1980, au moment de la décentralisation, tous les services de l'Etat et des nouvelles Régions s'étaient mis au service des projets ruraux. La qualité des projets passait avant les contraintes juridiques et administratives et financières. Souvent, l'imagination était au pouvoir. Des réseaux de militants du développement local se sont mis en place dans toute la France, pour échanger des expériences. Certes, ces mouvement étaient parfois un peu brouillons, source de quelques gaspillages. Mais la structuration du territoire rural en communautés de communes a permis de bonifier l'action publique locale. Aujourd'hui, la méfiance est de règle. Les acteurs ruraux sont perçus potentiellement comme infantiles. L 'exemple de la gestion désolante des crédits européens 'Leader' par la France, témoigne de cette posture. Ces crédits sont spécifiquement réservés à des petites actions de développement local en milieu rural. Aussi, l'Europe prescrit une gestion souple et réactive des projets dans le cadre de comités locaux de sélection. Mais aujourd'hui, il faut deux ans pour faire aboutir un dossier tant les tracasseries administratives sont fortes et trois ans pour que les subventions soient versées ! Et nombre de jeunes techniciens des structures départementales, régionales ou de l'Etat analysent un projet local en amplifiant les questions juridiques et financières avant même de voir l'intérêt du projet. Souvent, le découragement gagne les acteurs locaux. C'est donc une posture généralisée, technocratique et négative, qu'il faut revoir. La cause en est certainement le manque d'évaluation des politiques publiques et des conséquences des pratiques des administrations. Nous faisons peu de comparaison avec les pays voisins (benchmark administratif). La formation des administrations locales au management de projet est quasiment inexistante. Elle devrait être renforcée dans un souci de développement local. (1) Voir le site Chroniques Cartographiques : Carte de l'évolution de la population en France et en Europe (2) Voir dans la revue des maires ruraux 36000 communes n°350, le dossier : dynamique démographique le monde rural bouge (3). Voir le dossier d'Alternatives économiques 2018 : les campagnes sont de retour! (4). Voir l'essai de Raphaël Glucksmann : les enfants du vide 2018 (5) Les Nations Unies définissent le développement communautaire comme ""un processus où les membres de la communauté se rassemblent pour prendre des mesures collectives et trouver des solutions aux problèmes communs"". Il s’agit d’un terme large qui désigne les pratiques des dirigeants, des activistes, des citoyens impliqués et des professionnels, pour améliorer divers aspects des communautés, visant généralement à construire des communautés locales plus fortes et plus résilientes. (6) Voir l'essai de Danièle Léger et Bertrand Hervieu : Le retour à la nature « Au fond de la forêt... l'État » 1979 (7). Voir l'essai d'Eric Charmes : la revanche des villages 2019

Selon vous, l'Etat doit-il aujourd'hui transférer de nouvelles missions aux collectivités territoriales ?
Non

Estimez-vous avoir accès aux services publics dont vous avez besoin ?
Oui

Si non, quels types de services publics vous manquent dans votre territoire et qu'il est nécessaire de renforcer ?
médicaux

Avez-vous déjà utilisé certaines de ces nouvelles formes de services publics ?
Oui

Si oui, en avez-vous été satisfait ?
Non

Connaissez-vous le "droit à l'erreur", c'est-à-dire le droit d'affirmer votre bonne foi lorsque vous faites un erreur dans vos déclarations ?
Oui

Si oui, avez-vous déjà utilisé ce droit à l'erreur ?
Non

Faut-il donner plus d'autonomie aux fonctionnaires de terrain ?
Oui


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