Intégralité de la contribution intitulée "Fiscalité et fracture(s) sociale(s)"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Fiscalité et dépenses publiques le 17 mars 2019 à France .

Y a-t-il d'autres points sur les impôts et les dépenses sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
La crise sociale actuelle rend visible une fracture entre deux classes que le discours politique confond souvent : la classe moyenne et la classe aisée. La classe moyenne comprend les personnes proche du revenu médian et du revenu moyen. La classe aisée comprend les personnes qui vivent bien sans faire partie des ""riches"". Socioculturellement les classes aisées correspondent aux cadres du public et du privé et à une partie des professions libérales et patrons, plus les retraités qui en sont issus; surtout les classes aisées correspondent aux diplômés de l'enseignement supérieur. La confusion vient que ces deux classes partagent un même statut majoritairement salarié (contrairement aux classes moyennes et aisées du XIX° et début du XX°) et une croissance récente grâce aux Trente Glorieuses et à leur prolongement. L'augmentation des emplois qualifiés et la protection sociale ont permis à une partie importante des classes laborieuses d'intégrer les classes moyennes ou de s'agréger à elles en accédant à un même mode de vie et de consommation. Puis la démocratisation de l'enseignement supérieur a permis aux enfants des classes moyennes d'accéder aux classes aisées. Ainsi s'est constitué dans les années 80 le ""grand groupe central"" ou la ""majorité sociologique"", notions chères à Giscard et Mitterrand, paraissant homogène par son mode de vie malgré les écarts de revenus et comprenant en fait les classes moyennes, les classes aisées et une partie des classes populaires. La fracture sociale des années 90 passait dans les classes populaires dont une partie était écartée du groupe central et rejetée dans la précarité et la pauvreté. Cette fracture n'a pas disparu, loin de là, mais une seconde est apparue depuis quelques années et devient évidente maintenant : la fracture entre classes aisées et classes moyennes. Celle-ci est largement due à la mondialisation, ou plutôt au recul de l'Europe dans le jeu économique mondial qui l'accompagne. La contraction de notre économie touche maintenant les emplois qualifiés créés pendant les Trente Glorieuses et ceux qui les occupent, les classes moyennes. Au contraire les diplômés du supérieur donc les classes aisées bénéficient de nouvelles possibilités par la mondialisation. De culture plus cosmopolite, elles adhèrent au discours dominant européiste et américanolâtre. Les classes moyennes ressentent elles ce discours dévalorisant la France et son identité comme une acculturation et une aliénation. Pourtant les classes moyennes se sont laissées influencer par la consommation à l'américaine et tendent à perdre une de leur spécificité : la sobriété et l'esprit d'épargne. Traditionnellement, compter, faire attention, être économe étaient des caractéristiques des classes moyennes (et les distinguaient des classes aisées), aujourd'hui ne pas pouvoir céder à toutes les tentations de la consommation est ressenti comme une frustration. La nouvelle fracture sociale sépare donc les classes aisées, satisfaites de l'évolution actuelle au même titre que les riches, et les classe moyennes (et une partie des classes populaires qui bénéficient encore des acquis des Trente Glorieuses) qui craignent le déclin et le déclassement et regardent avec angoisse l'autre fracture sociale, celle qui mène à la précarité. Percevoir cette nouvelle fracture sociale permet de décoder le discours sur la fiscalité qui se réclame des ""classes moyennes"" : l'impôt sur le revenu est en fait payé essentiellement par les classes aisées (qui n'ont pas les mêmes possibilité d'évasion fiscale que les riches), les classes moyennes paient surtout impôts locaux et impôts indirects. Invoquer les ""classes moyennes"" pour donner l'impression de parler au nom de la majorité permet en fait aux politiciens de justifier des politiques opposées, qu'on matraque les classes aisées sous prétexte de faire payer les riches (Hollande) ou qu'on allège l'impôt sur le revenu en compensant par des prélèvements ou des économies au détriment des classes moyennes (la droite). En général le discours est biaisé car les politiciens proviennent essentiellement des classes aisées et très peu des classes moyennes ou populaires. Leur prétention à défendre les classes moyennes doit donc être écoutée avec une certaine méfiance. Une nouvelle politique fiscale doit donc réparer cette fracture donc soulager les classes moyennes, sans pour autant faire des classes aisées macronistes le bouc émissaire de la crise sociale. Quelques propositions : - lutter plus énergiquement contre la fraude fiscale (sans illusion pourtant sur les montants à en retirer) - supprimer les possibilités d'évasion et d'optimisation fiscale. Ici il y a plus à obtenir et les cibles doivent être les sociétés multinationales (ce qui suppose une action forte au niveau européen), faire des riches au dessus d'un revenu donné des boucs émissaires est stupide et dangereux - revoir toutes les niches fiscales et ne garder que celles correspondant à des charges subies (famille nombreuse, logement, handicap et personnes à charge) et non à des choix d'investissement (cinéma, outre-mer, dons...) - utiliser les ressources ainsi obtenues pour réduire les impôts indirects pesant sur les consommations contraintes (dont l'énergie, les transports quotidiens, l'accès à Internet...) - utiliser les ressources ainsi obtenues pour moduler les impôts locaux, en remettant en cause la suppression de la taxe d'habitation promesse démagogique de Macron et en mettant au débat public la réévaluation des bases d'imposition enterrée par Rocard. On ne résoudra pas tout les problèmes mais on évitera d'aggraver les fractures sociales en refilant la patate chaude de la fiscalité d'un bord à l'autre à chaque alternance. Beaucoup serait à faire dans d'autre domaines : défendre la production française et européenne plutôt que favoriser le libre-échange et la concurrence généralisée, mettre fin au cosmopolitisme et à l'américanolâtrie, diversifier le personnel politique pour que les classes moyennes soient mieux représentées, etc.


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