Intégralité de la contribution intitulée "POUR UNE DECRUE FISCALE SOLIDAIRE par Sociabilis, collectif de recherche citoyen pour une société alternative"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Fiscalité et dépenses publiques le 26 janvier 2019 à Ornacieux .

Quelles sont toutes les choses qui pourraient être faites pour améliorer l'information des citoyens sur l'utilisation des impôts ?
Il y a un lien entre l’individualisation des sociétés occidentales et la montée de la demande d’Etat, autrement dit de la pression fiscale. Par individualisation, on veut dire que les relations horizontales familiales, de voisinage ou de proximité et associatives se défont . Le lien social se détisse sans cesse, rendant les familles toujours plus petites et repliées, et les individus toujours plus isolés, et finalement dans la solitude. Cette perte de lien social c’est aussi comme l’extinction du soleil, de ce qui fait la chaleur humaine, la solidarité, la sociabilité et la convivialité. Dans ce contexte, les mauvaises passions humaines relèvent la tête, et avec l’individualisation on assiste à la montée de l’angoisse, de la peur et du ressentiment.

Au fur et à mesure que la société se décompose, beaucoup d’activités qui étaient auparavant gérées par les réseaux horizontaux familiaux et de proximité sont pris en charge par l’Etat. Il s’agissait de systèmes d’entraide spontanés comme dans l’agriculture villageoise, de prestation de services de proximité non marchands comme les gardes d’enfants, les jardins familiaux, les transports ou encore la transmission des connaissances en matière d’économie domestique, de santé, de production et réparation etc. Fort heureusement tout n’a pas disparu. De plus une partie de ces activités a été transférée au marché à travers les contrats emploi-services (CESU), les auto-entreprises, les logements et les autres services marchands aux particuliers. Mais la plupart de ces activités ont été transférées à l’Etat : maisons de retraites, EPAHD, prise en charge des enfants par l’école dès trois ans, allocations diverses pour frais de garde, pour le logement, etc.

Que faudrait-il faire pour rendre la fiscalité plus juste et plus efficace ?
Ainsi la décrue fiscale, c’est-à-dire la baisse de la pression fiscale, passe beaucoup par une autonomisation de la société vis-à-vis de l’Etat. Ce n’est pas le seul canal. D’abord, la pression fiscale sur les bas revenus peut être très rapidement éliminée en rétablissant la justice fiscale, y compris celle de la fiscalité indirecte : essence et fuel, TVA pour les besoins de base. Il y a aussi la baisse globale des prélèvements fiscaux, notamment ceux liés à la fracture sociale et ses conséquences : gestion du chômage et de l’emploi, travailleurs sociaux, forces de l’ordre. Mais le plus important de la décrue fiscale se compose des activités de proximité réalisées non plus par le marché ou l’Etat, mais par la société elle-même. Tout d’abord cela représente des sommes importantes d’impôts qui seront prélevées en moins sur les ménages et les entreprises. Ensuite ces économies seront réalisées dans un esprit de soutien à la société locale et d’économie solidaire, elles sont faiseuses de lien social. Enfin la réponse à certains besoins par des liens directs horizontaux entre citoyens, au lieu de recourir à des administrations centralisées, s’accompagne souvent, selon le principe des circuits courts, par un bénéfice du point de vue économique et du point de vue de la transition énergétique.

Quels sont selon vous les impôts qu'il faut baisser en priorité ?
Comment pourrait fonctionner concrètement une décrue fiscale solidaire ? Il s’agit de définir d’une part des activités d’intérêt économique et social (AIES) qui seront éligibles à la décrue fiscale, c’est-à dire qui bénéficieront d’un soutien de l’Etat central et des territoires (régions, départements, communes). Elles s’exerceraient bien sûr en franchise fiscale, c’est-à-dire ne supporteraient pas la fiscalité des entreprises et des bénéfices (les cas possibles de distorsion de concurrence seront bien sûr pris en compte). Ces activités de décrue fiscale sont stratégiques car elles vont permettre de réduire sensiblement les dépenses futures de l’Etat. Elles sont prioritaires et méritent le soutien de la collectivité. On peut les comparer aux dépenses de prévention dans la santé publique. Pour réduire les dépenses de demain : coûts des 50 000 morts du diesel, du cancer du poumon, des accidents de la route, on fait des dépenses aujourd'hui de prévention, légitimes, et moins importantes. Il s’agit ici des dépenses pour soigner les fractures sociales, pour réduire les coûts du chômage, des ghettos, de la faiblesse du lien social.
Ensuite il faut inventer un statut pour celles et ceux qui deviendront des aides territoriaux (AT) à temps partiel ou plein. Ce statut pourrait être accordé par les mairies sur la base de critères de compétences et de moralité. Ce dernier critère semble nécessaire car il s’agit souvent d’activités d’aide à la personne. Enfin il faut établir des modes de rétribution, qui pourraient être au nombre de trois. 1 – Pour les citoyens imposables, la rétribution se ferait par des exonérations et crédits d’impôts. 2 – Pour d’autres citoyens non imposables, la rétribution se ferait directement par l’Etat ou les régions. 3 – Dans les communes, communautés de communes ou autres organisations locales les plus avancées, la rétribution se ferait à l’intérieur de systèmes d’échanges locaux réglés en monnaie locale ou en temps de travail. Il faut noter que pour les cas 1 et 2, le paiement (ou le manque à gagner par l’Etat) subsiste, mais coûte moins cher que la rémunération d’un fonctionnaire et participe donc à la décrue fiscale.

Afin de financer les dépenses sociales, faut-il selon vous...
Reculer l'âge de la retraite

Afin de financer les dépenses sociales, faut-il selon vous… [Autres]
Cf notre proposition ici: reconstruire du lien social et de la solidarité pour déduire le besoin d'Etat

S'il faut selon vous revoir les conditions d'attribution de certaines aides sociales, lesquelles doivent être concernées ?
Voici quelques exemples d’activités économiques et sociales pour lesquelles les besoins sont criants, et qui peuvent contribuer à la décrue fiscale par l’emploi d’aides territoriaux rémunérés selon les modalités indiquées ci-dessus. Les gardes d’enfants sont un coût parfois considérable pour les ménages actifs, grevant leur pouvoir d’achat, pouvant conduire des femmes seules à se retirer de l’emploi. Les dépenses déjà importantes de l’Etat en allocations de frais de garde sont bien souvent insuffisantes. Des logements à l’année, à prix modérés et défiscalisés pour les propriétaires peuvent être offerts en milieu rural, notamment par des ménages âgés. Le covoiturage fonctionne déjà assez bien pour les navettes domicile-travail, mais l’offre de transport par les particuliers peut être étendue, notamment à destination des ménages seniors là où les taxis font défaut ou sont inabordables. Les municipalités peuvent organiser des services de coupe de bois de chauffage et des livraisons gratuites ou à bas prix à destination des ménages. Si les mairies n’ont pas de forêts communales à exploiter, d’autres n’ont toujours pas pu nettoyer les forêts des séquelles de la tempête de 1999, faute de moyens.

Quels sont les domaines prioritaires où notre protection sociale doit être renforcée ?
Il existe d’autres secteurs d’activité totalement nouveaux qui portent d’importants potentiels de décrue fiscale. Il s’agit en particulier des secteurs à fracture sociale, demandeurs d’emploi, ghettos sociaux, minorités ethniques, déserts ruraux. L’Etat dépense des sommes importantes afin de réduire les discriminations et réinsérer les populations mais les résultats sont décevants. Tous les professionnels de l’insertion disent que l’argent est insuffisant si l’on ne procure pas un accompagnement personnalisé. Mais l’Etat ne peut financer les centaines de milliers de fonctionnaires supplémentaires nécessaires pour exercer, aux côtés des services et des professionnels existants, des activités d’accompagnateur social, de coach d’emploi, de moniteur de sport ou d’artiste social.

Y a-t-il d'autres points sur les impôts et les dépenses sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
Un dernier exemple. Il est clair maintenant que la France, du fait de sa fracture sociale, a un chômage structurel d’un ou deux millions de personnes qui ne retrouveront pas d’emploi même si la croissance redémarre. Il s’agit d’un million de jeunes sortis du système scolaire en échec et sans formation, et d’un million de personnes plus âgées mais n’ayant pas les qualifications adaptées. Le Gouvernement a parfaitement identifié ce problème, et proposé un plan de formation pour un million de jeunes. Mais qui va former ces jeunes ? avec quels moyens ? Les centres actuels de formation professionnelle sont beaucoup trop chers, et les centres de formation pour adultes ou jeunes adultes sont trop peu nombreux. Ici aussi le label d’AIES est à même d’apporter des solutions rapides, sous l’égide des Mairies et des Départements. De nombreux formateurs et professionnels des villes et des territoires sont prêts à s’engager dans un élan citoyen d’accompagnement pour l’emploi, si on leur présente des statuts adaptés et des rétributions défiscalisées. L’autre problème massif de la France, celui des ghettos sociaux, ne trouvera pas non plus de solution en dehors de l’approche de la décrue fiscale, c’est-à-dire de la proximité. Là aussi, les initiatives citoyennes locales sont à la fois les moins coûteuses et les plus efficaces. On l’aura compris, une profonde et rapide décrue fiscale en France ne peut se produire si on se contente de la demander à l’Etat. Elle nécessite un engagement solidaire des citoyens dans les localités. Et, cerise sur le gâteau, cette décrue est elle-même créatrice d’emplois !

*Sociabilis est un collectif de recherche pour une économie alternative.


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