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Tribune par Karine Jacquemart, Directrice générale de foodwatch France Ce mercredi 13 février 2019 le Parlement européen va – plus que probablement - adopter deux accords avec Singapour : un accord de commerce et un accord de protection des investissements. C’est une très mauvaise nouvelle, car c’est le résultat d’une stratégie délibérée de contourner l’opinion publique et de confisquer tout débat citoyen sur les implications et les risques de ces accords. Alors que les risques de repli sur soi s’accentuent en Europe, comment ne pas voir à quel point cette fuite en avant de l’Union européenne qui continue à négocier à tour de bras et en toute opacité des accords de libre-échange complètement antidémocratiques est dangereuse ? Autant jouer avec des allumettes sur un baril de poudre. C’est tout au contraire de transparence, de débats éclairés et de décisions qui remettent l’intérêt général au centre dont nous avons tous tant besoin. Au lieu de cela, les décideurs politiques avancent masqués pour faire adopter ces traités coûte que coûte. Stratégie n°1 - La politique de l’autruche d’Emmanuel Macron et ses partenaires européens Les risques de ce type d’accords de libre-échange, qui considèrent à peu près tout comme des barrières au commerce à supprimer ou à contourner, sont bien connus et documentés : risques pour la protection des droits sociaux, des consommateurs et de l’environnement, l’agriculture et l’alimentation (importations de viande, normes sur les pesticides, OGM, etc.), notamment. Emmanuel Macron avait d’ailleurs mandaté une commission indépendante en 2017 qui a confirmé des risques importants sur « l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé ». Dont acte, le Gouvernement s’est alors engagé à plus de transparence et à s’assurer que soient pris « en compte les enjeux sanitaires et de développement durable dans les accords commerciaux ». Qu’en est-il ? L’UE continue à négocier des accords qui présentent toujours les mêmes dangers, sans garantie par exemple pour le principe de précaution européen, la protection des droits sociaux ou même celle de l’environnement et de la planète. Avancent ainsi les traités avec le Japon (le JEFTA a été adopté le 12 décembre 2018), le Vietnam, l'Indonésie, le Mexique, le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), etc. Stratégie n°2 – Saucissonner les accords pour contourner débats et controverses Une question a longtemps été posée : les accords de commerce de nouvelle génération peuvent-ils être adoptés seulement au niveau européen, c’est-à-dire par le Conseil de l’UE où siègent les gouvernements et par le Parlement européen, ou nécessitent-ils aussi une approbation nationale ? La Cour de justice de l’Union européenne a tranché en mai 2017, sur le cas de l’accord entre l’UE et Singapour (EUSFTA), que la compétence était dite ‘mixte’, car certaines mesures comme l’investissement devaient bel et bien être aussi validées par les parlements nationaux. Justement, une mesure de protection des investissements prévue dans ces traités génère beaucoup de controverses : le Règlement des différends entre investisseurs étrangers et Etats (RDIE, ISDS en anglais). Ce mécanisme d’arbitrage permet aux investisseurs étrangers d’attaquer des autorités publiques, en particulier des Etats, si elles estiment qu’une décision publique peut affecter leurs profits. Ils peuvent ainsi attaquer même des politiques d’intérêt général, pour la santé ou l’environnement. De nombreux cas existent, comme l’entreprise suédoise Vattenfall qui a attaqué le gouvernement allemand suite à sa décision de sortir du nucléaire, réclamant 4,7 milliards d’euros de compensation. Puisque les Etats membres doivent se prononcer sur les accords qui ont une partie sur les investissements, on aurait pu espérer que les négociations ne pouvaient aboutir sans débat démocratique dans tous les pays. Mais c’est sous-estimer les tenants d’un libre-échange débridé. Il est moins contraignant pour eux de contourner le problème, en coupant les accords en deux. Pour ne pas freiner le CETA (accord UE-Canada), 90% du texte est ainsi entré en application dite provisoire depuis le 21 septembre 2017. Sans aucun débat ni avec les citoyens ni avec le Parlement français. Quant aux 10% restants, qui incluent le chapitre sur les investissements, ils attendent une loi de ratification pour le vote des parlementaires nationaux, loi qui ne cesse d‘être reportée. Pas de loi, pas de débat, n’est-ce pas plus simple ainsi ? Quant aux nouveaux accords, les négociateurs ont décidé de les soumettre aux votes en deux parties : accords de commerce d’un côté et accords d’investissement de l’autre. C’est ce qui s’est passé avec le Japon, et ce même scénario se répète cette semaine avec l’accord UE-Singapour. Cela permet une nouvelle fois d’échapper à tout débat démocratique. Des solutions existent Face à ce déni de démocratie et aux enjeux de ces accords internationaux, les sociétés civiles réagissent. Trois ONG, dont foodwatch, annoncent cette semaine qu’elles prévoient de porter plainte devant la Cour constitutionnelle allemande pour contester que de tel accords puissent être validés sans consultation des parlements des Etats membres. Une coalition de 150 organisations dans 16 pays a lancé fin janvier la pétition « Stop impunité », signée en quelques semaines par plus de 430 000 personnes, avec pour mot d’ordre « Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales ». Le double objectif est de mettre fin au système d’arbitrage qui donne des droits exorbitants aux multinationales, et de les contraindre à respecter les droits humains et l’environnement.
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L’Union européenne multiplie les accords bilatéraux de libre-échange, en toute opacité. Si les négociations du TAFTA (ou TTIP) avec les Etats-Unis (Transatlantic Free Trade Agreement) et du MERCOSUR (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) sont pour le moment au point mort, le CETA avec le Canada (Comprehensive Economic and Trade Agreement) est déjà largement entré en vigueur, le JEFTA avec le Japon est en voie d’adoption et la liste s’allonge : Mexique, Vietnam, Indonésie etc. Ces accords dits « de nouvelle génération » menacent la protection des droits sociaux, des consommateurs et de l’environnement. Ils auront un impact dans tous les domaines, y compris l’agriculture et notre alimentation (pesticides, OGM, etc.). Voilà pourquoi : La plupart du temps, ce type d’accords a un objectif simple : réduire les droits de douane afin de stimuler les échanges commerciaux. Mais le CETA et ses cousins vont plus loin : l’enjeu est de s’attaquer aux autres « obstacles au commerce », c’est-à-dire les différences de normes et standards. Le problème est que cela ne concerne pas seulement les normes techniques, mais aussi les réglementations qui protègent l’environnement, les droits sociaux ou encore les consommateurs. Ces accords vont beaucoup plus loin que les questions de commerce et auront de fait un impact durable sur notre vie quotidienne. Comment ? Ces accords mettent en danger la capacité de nos institutions démocratiques à décider librement de politiques d’intérêt général. Les exemples ci-dessous s’appuient sur les cas du CETA et du TAFTA, mais sont très largement valides pour la plupart des accords actuellement négociés par l’UE, comme le révèle l’étude de foodwatch et PowerShift publiée en février 2018 « Le commerce à tout prix ? », qui examine les projets d’accords avec le Mercosur, le Japon, le Mexique, le Vietnam, l’Indonésie Le principe de précaution, une ‘barrière commerciale à éliminer’ ? En Europe, un simple soupçon de nocivité, s'il est fondé, suffit à faire interdire un produit, ou un procédé. Aux Etats-Unis et au Canada, en revanche, un aliment peut rester sur le marché tant que sa dangerosité n'est pas prouvée. Or ce principe n’est absolument pas garanti ni dans le texte du CETA, ni dans les autres projets d’accords étudiés. Le règlement des différends entre investisseurs et Etats : la possibilité offerte aux entreprises étrangères d’attaquer les Etats devant des tribunaux d’arbitrage, au motif que des décisions politiques affecteraient leurs bénéfices, réels ou attendus, est une véritable épée de Damoclès. La simple menace de poursuites risque de dissuader les pouvoirs publics d'adopter de nouvelles règlementations concernant par exemple la santé publique et bien sûr l’alimentation. La coopération règlementaire : décider de normes communes pour les clignotants de voitures, pas de problème. Mais là encore, CETA et TAFTA vont beaucoup plus loin, avec un nouveau processus en dehors des circuits habituels de prise de décision démocratique. Aux commandes ? Un « forum » ou « comité » de personnes non élues qui auront voix au chapitre sur les règlementations décidées après l’adoption des traités. Le CETA met en place plus de dix comités...et les autres projets d’accords étudiés prévoient eux aussi des comités aux larges pouvoirs sans contrôle démocratique adéquat. Si ces accords aboutissent en l’état, le risque est grand que l'harmonisation des normes relatives à la protection des consommateurs et de la santé induise un nivellement par le bas et bloque la possibilité de renforcer ces niveaux de protection. La perte de souveraineté règlementaire pour les Etats et l’UE est préjudiciable à la démocratie. Enfin, malgré l’importance de ces enjeux, les négociations se poursuivent dans la plus grande opacité. Les revendications de foodwatch : plus de transparence et de débat démocratique. foodwatch demande l’arrêt des négociations en cours et une nouvelle politique commerciale européenne. Les échanges internationaux doivent en premier lieu tenir compte de l’intérêt général des populations, au lieu de satisfaire avant tout les intérêts des multinationales. Or le CETA et les accords de libre-échange examinés dans l’étude « Le commerce à tout prix ? » ne respectent pas ce critère fondamental. Au contraire, ils risquent de compromettre les normes de protection existantes et de saper les initiatives pour les renforcer dans le futur. Ces négociations doivent donc être interrompues et l’Union européenne se doit de développer une nouvelle politique commerciale qui donne la priorité aux droits des populations et consommateurs. Le gouvernement français a confié mi-2017 une analyse des risques sanitaires et environnementaux du CETA à une commission indépendante. Au vu de ses conclusions, confirmant de nombreux risques (mise à l’écart du principe de précaution, pouvoirs des comités, abaissement des normes, etc.), le gouvernement s’est engagé à « améliorer la prise en compte des enjeux sanitaires et de développement durable dans les accords commerciaux ». Cet engagement n’est possible qu’en mettant à l’arrêt les négociations en cours pour revoir la politique commerciale française et européenne et relancer de prochains accords sur ces nouvelles bases et nouveaux objectifs. Il est indispensable que les implications de tels traités soient débattues de façon transparente à tous les niveaux : local, national et européen.
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