Intégralité de la contribution intitulée "La transition énergétique"
Voici l'ensemble des réponses fournies par un contributeur du site officiel aux questions du thème Transition écologique le 6 février 2019 à Paris 8e Arrondissement .

Y a-t-il d'autres points sur la transition écologique sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
La « transition énergétique » et les 10 ruptures Pierre Bauby La prise de conscience des enjeux environnementaux et du changement climatique, ainsi que les évènements récents, en particulier climatiques, hors références conduisent les institutions et organisations mondiales, régionales, nationales et locales à mettre sur l’agenda la question de la « transition énergétique ». Si l’on prend comme définition de toute « transition », le processus de passage d’un système – technique, économique, social, sociétal, scientifique, etc… - à un autre, il apparaît nécessaire de prendre du recul sur l’actualité, d’appréhender le « temps long ». Pour analyser la « transition énergétique » dans toute son ampleur, il faut resituer chacun des enjeux énergétiques dans des phénomènes de longue période. On est alors amené, lorsque l’on étudie le secteur clé de l’électricité en Europe, à considérer dans toute leur ampleur, l’existence quasi concomitante, de 10 véritables ruptures historiques : 1/ Nous passons d’une croissance exponentielle de la consommation, en général des années 1950 aux années 1970, à une stabilité et même à des baisses. Les « modèles économiques » traditionnels des opérateurs électriciens sont partout sur la sellette. 2/ L’objectif des politiques énergétiques n’est plus tant de produire plus que d’améliorer l’efficacité énergétique. Aujourd’hui, les investissements les plus pertinents et les plus « rentables » visent les économies d’énergie, l’efficacité énergétique, qu’il s’agisse des logements et de tous les bâtiments, des transports ou des procès industriels. 3/ Nous avons vécu pendant plus d’un siècle avec une logique technico-économique fortement structurante, celle des rendements croissants à la production d’électricité : plus on construisait de grosses unités de production, de « grandes » centrales, plus le prix de revient, le coût, du kWh diminuait. Les électriciens ont partout développé d’intenses recherches pour conduire une « course à la taille » et on est passé du petit générateur remplaçant la machine à valeur dans un atelier aux centrales thermiques de 1500 MW. Aujourd’hui les énergies renouvelables – éolien, solaire, liées à la biomasse - deviennent compétitives… Peu importe à quelles dates et dans quels lieux précis les courbes de coûts se croisent, mais pour paraphraser ce qu’aurait dit Galilée à propos de la forme de la terre, « et pourtant elles se croisent… ». 4/ Il était avéré, comme une « évidence » que pour l’essentiel l’électricité ne se stockait pas, ce qui imposait un équilibre permanent entre production et consommation, quels que soient les aléas. Les progrès technologiques amènent de fortes diminutions de coûts des batteries et conduisent à envisager le stockage comme solution aux fortes évolutions des consommations dans la journée et dans l’année. 5/ Jusqu’ici l’« environnement » était appréhendé par les acteurs du secteur de l’énergie comme un « output », une « externalité ». Les enjeux environnementaux deviennent partout des « input » essentiels des politiques et stratégies énergétiques. C’est ainsi que la « décarbonisation » structure les choix et politiques énergétiques depuis chaque niveau territorial jusqu’aux conférences mondiales (COP). 6/ Les pays européens ont disposé de ressources énergétiques « nationales » très différentes selon leurs caractéristiques géographiques et géologiques et selon les périodes historiques. Certains étaient structurellement exportateurs d’énergie, alors que d’autres devaient importer et faire face à des enjeux d’indépendance énergétique. Jusqu’en 2009, la construction européenne laissait en conséquence chacun des Etats membres conduire sa propre politique énergétique nationale. Aujourd’hui, tous les pays européens deviennent progressivement importateurs nets d’énergie. Cela a généré un nouvel intérêt commun aux Etats membres de l’UE, ce qui a conduit les Etats européens à initier dans le traité de Lisbonne une nouvelle politique commune (titre XXI énergie), puis à parler d’une « Union de l’énergie ». Mais le traité laisse aux Etats membres le choix de leurs sources et de leur mix énergétique. L’Union de l’énergie repose sur le principe de subsidiarité. TITRE XXI ENERGIE Article 194 1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres: a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie; b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union; c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables; et d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques. 2. Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions. Elles n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c). 7/ Les initiatives européennes en matière d’énergie – en dehors de la CECA et d’Euratom - ont été fondées, des années 1990 aux années 2000, sur la réalisation des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz, reposant sur des logiques de marché et de concurrence – cependant accompagnées de la définition d’obligations de service public ou, pour l’électricité, de service universel, dont l’essentiel repose sur des initiatives des Etats membres. En fait, on constate que compte tenu des caractéristiques spécifiques de l’électricité il n’existe pas – et ne peut exister – de marché intérieur homogène et fluide, mais des marchés régionaux, ce qui conduit à reposer la question des objectifs et finalités de l’Union de l’énergie. 8/ Dans la plupart des pays européens, on a assisté à la mise en place d’un « modèle industriel » intégré de l’électricité – production, réseaux de transports et de distribution, commercialisation – le plus souvent centralisé, avec un opérateur disposant le plus souvent d’un monopole. Aujourd’hui, on voit se développer des logiques de décentralisation et de territorialisation, en relation avec le développement des énergies renouvelables par nature territorialisées. Une tendance lourde structurante se développe reposant sur la volonté de maîtrise, d’autonomie, de réappropriation par les collectivités, d’auto-suffisance, de systèmes à énergie positive, avec le développement de politiques régionales, locales ou communautaires de l’énergie. ENEDIS souligne qu’on dénombre aujourd’hui en France près de 350 000 sites de production décentralisés, alors qu’il n’y en avait presque pas il y a une dizaine d’années 9/ Entre la première directive électricité de 1996 et les paquets actuels, certaines Obligations de service public ont été européanisées, élargies (cf. précarité et pauvreté énergétique) ou sont devenues plus contraignantes, même si l’essentiel continue à relever des décisions des Etats membres. Alors que la Commission semble s’orienter vers une disparition des prix réglementés et vouloir faire relever la pauvreté énergétique des politiques sociales, le « socle des droits sociaux » adopté à Goteborg le 17 novembre 2017 précise : Toute personne a le droit d’accéder à des services essentiels de qualité, y compris l’eau, l’assainissement, l’énergie, les transports, les services financiers et les communications numériques. Les personnes dans le besoin doivent bénéficier d’un soutien leur permettant d’accéder à ces services. Ainsi se développe une nouvelle tension quant aux objectifs et au contenu de l’européanisation. 10/ L’électricité s’est développée en « réseau » maillé et interconnecté progressivement étendu à des territoires étendus et intégrant le foisonnement des usages. Le réseau était en quelque sorte le « cœur de réacteur » de chaque système électrique pour en assurer la continuité et la sécurité. On assiste à un double mouvement d’une part d’extension géographique de la maille d’interconnexion, ce qui pose en Europe la question de son pilotage et de sa gouvernance qui reste de la compétence de chaque Etat membre, d’autre part d’irruption sur le réseau d’électricité intermittente (l’éolien quand il y a du vent, le soleil quand il brille) et d’initiative très décentralisée. Cela conduit au besoin de redéfinir la fonction et l’organisation du réseau électrique pour faire converger les niveaux d’organisation – du local au continental - et les différents acteurs. Le réseau ne peut plus être le donneur d’ordres « dictatorial » qu’il a été, car il ne décide ni du vent ni du soleil ! * Ces 10 ruptures ne sont pas complètement synchrones et relèvent de logiques différentes. Mais elles interagissent et « forment système ». Elles conduisent à poser la question d’un dépassement de la notion de « transition » énergétique pour aborder celle d’une « révolution » énergétique, amenant à redéfinir des systèmes énergétiques fondés sur la démocratie, la gouvernance multi-niveaux et multi-acteurs.


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